« Duran Duran du Canada. » C’est ainsi qu’ont été nommés les Glass Tiger, de jeunes auteurs-compositeurs de Newmarket, Ontario, après être devenus des sensations à la radio et sur vidéo avec « Don’t Forget Me (When I’m Gone), » la première chanson de leur premier album The Thin Red Line. Co-écrite par l’un des anciens membres du conseil de la SOCAN, Jim Vallance, et accompagnée de la voix de Bryan Adams – dont Vallance a été le mentor et avec qui il a souvent écrit –  cette chanson a été le premier d’une longue série de succès. Le chanteur de Glass Tiger, Alan Frew, a accepté de parler à la SOCAN de son premier Prix classique canadien.

Est-ce vrai que vous avez écrit « Don’t Forget Me » lors de votre première journée en studio avec Jim?
Nous avons écrit « Don’t Forget Me » et « Someday » dès le premier jour!

Qu’y avait-il dans l’air?
Jim nous a ramassés à l’aéroport et nous a demandé ce que nous écoutions dans ce temps-là. Puis nous nous sommes arrêtés chez un disquaire pour y acheter ces albums. Il a fait du thé. Puis il a fait jouer ces CD. Et quand la chanson « Everybody Wants to Rule the World » de Tears for Fears s’est mise à jouer, Jim s’est exclamé, « Aha! Ce rythme là c’est un shuffle! » Et nous avons commencé à battre le rythme. Et j’ai commencé à chanter quelques paroles comme un refrain : « don’t forget me when I’m gone ». Jim a dit, « C’est une bonne petite phrase. Rappelons-nous-la quand on aura trouvé des accords. »

Comment Bryan Adams en est-il venu à vous accompagner?
Nous nous étions parlé au téléphone. Bryan appelait de temps en temps au studio, juste pour savoir comment Jim allait. Bryan était à Toronto pour le gala des prix JUNO et est passé au studio pour nous voir. On s’est mis alors à parler de musique tout en buvant quelques bières. Mais le cerveau de Jim roulait à bloc. Après un temps il nous a demandé, « Pourquoi vous n’iriez-vous pas chanter quelque chose, vous deux? » Alors Bryan et moi, après avoir calé trois ou quatre Heineken, nous avons répondu « Bien sûr! » Ce ne fut pas plus compliqué.

Avez-vous senti que cette chanson était en or?
Je peux vous dire exactement ce qui a cliqué pour moi : c’est quand j’ai eu l’idée d’ajouter ma voix en harmonie. Je ne l’oublierai jamais, ça sonnait comme les Everly Brothers. Je me souviens qu’en revenant vers Toronto à bord de l’avion, alors que j’avais Thin Red Line dans ma poche sur une cassette, je me suis dit « Ne laissez pas s’écraser cet avion tant que les gens n’auront pas eu l’occasion d’entendre cette chanson! »

Qu’est-ce qui a été le plus important pour vous : être n°  1 au Canada, ou n°  2 aux États-Unis?
Il n’y a absolument aucun doute que « Don’t Forget Me » aurait été un succès n°  1 aux États-Unis si la chanson avait été lancée simultanément des deux côtés de la frontière. Mais quelqu’un a eu cette drôle d’idée de faire connaître « Thin Red Line » d’abord au Canada. On a eu une campagne décousue.

Vous avez été en nomination à un prix Grammy pour le meilleur groupe en 1987. Y êtes-vous allés?
Oui. C’était incroyable. Être assis à côté de Paul Simon et de Peter Gabriel. On va faire pipi et on partage l’espace avec Roger Daltrey. Whitney Houston est venue et nous a dit « salut. » Ce qui est triste, c’est que les Américains nous avaient déjà avertis : «  Non, vous ne le remportez pas. » Ils nous ont dit qu’ils ne le donneraient pas à des Canadiens. D’accord. Le lendemain matin, nous avons sauté dans le prochain avion pour l’Allemagne pour commencer à jouer avec Tina Turner. Et personne ne se rappelle qui a remporté le prix finalement. (Note de la rédaction : Ce fut Bruce Hornsby et le groupe The Range.)

Quand vous réécoutez l’enregistrement original, à quoi pensez-vous?
J’entends un jeune gars. Je pense à une époque où nous étions jeunes et naïfs : le monde nous appatenait. Imaginez. Vous atterrissez en Allemagne et une foule de filles en délire vous accueille en hurlant, et vous vous dites, « mais comment ces gens-là ont-ils entendu parler de nous? » Mais bien sûr ils vous connaissent car votre chanson est en train d’escalader leur palmarès.  J’essaie d’encourager les jeunes artistes à bien en profiter. Parce que si j’ai fait une erreur, c’est de ne pas avoir pris le temps de m’arrêter et de savourer pleinement ces moments heureux.



Au bout du fil, Jean-Michel Pigeon, le jeune leader de la formation Monogrenade, trace les grandes lignes de la mise en orbite progressive de son véhicule créatif. Ses premières ébauches auront lieu dans le camion de tournée de son premier groupe, Winter Gloves, pour lequel il sera surtout un guitariste exécutant les ordres. Après trois tournées canadiennes et une américaine, Jean-Michel effectue en 2008 les premiers tests de mise à feu de Monogrenade en enregistrant, dans un chalet, entouré d’amis, huit chansons qui se retrouveront sur un premier EP intitulé La saveur des fruits. Les bases d’un son pop imaginatif et avec un goût certain pour l’apesanteur étaient jetées.

Après un passage remarqué à l’édition 2010 du concours Les Francouvertes, où Monogrenade atteint la finale et se sauve entre autres avec Le Prix chapeau aux compositeurs, remis par la SODRAC pour la chanson « M’en aller », la formation intègre l’écurie Bonsound et lance son premier album Tantale un an plus tard. Un disque qui lui permettra d’être propulsé sur le devant de la scène indie pop en ébullition et de traverser les frontières du Québec, à la fois dans le reste du Canada, mais également en France, où Tantale est encensé par l’influent magazine Les Inrockuptibles.

« Je n’ai pas souvent envie de parler de moi, de me dévoiler dans mes chansons. » – Jean-Michel Pigeon de Monogrenade

Ce qui nous amène à Composite, deuxième album dont l’élaboration méticuleuse en studio (en compagnie de ses camarades François Lessard, Marianne Houle, Mathieu Collette, Ingrid Wissink et Julie Boivin), s’est étalée sur presque un an, et marque la mise en orbite définitive de Monogrenade. Ce rythme de travail plus étendu dans le temps s’accordait parfaitement avec la personnalité de Jean-Michel Pigeon : « C’est vrai que c’est vraiment le fun d’avoir le temps de pousser les choses à fond, mais en même temps, il peut arriver que l’essence de base des chansons se perde en cours de route. Mais ça reste une façon plus saine de travailler en ce qui me concerne, car j’aime bien élaborer mes compositions en couches superposées. Ç’a été un travail de longue haleine, mais j’aime composer de façon naturelle, sans rien précipiter. »

La principale conséquence de ce rythme d’enregistrement plus « naturel » est certainement une cohésion d’ensemble plus grande et un concept général (rétrofuturiste cinématographique) plus achevé sur Composite que sur Tantale, qui étendait ses tentacules dans plusieurs directions.

Étrangement, même si les textes de l’album explorent la diversité et la complexité des relations humaines, ne comptez pas sur Jean-Michel Pigeon pour se livrer intimement à travers ses chansons. Question de pudeur ? « C’est peut-être un peu par pudeur, effectivement. J’avoue que je n’ai pas souvent envie de parler de moi, de me dévoiler dans mes chansons, explique le discret Jean-Michel. Je préfère inventer des histoires, imaginer que je suis quelqu’un d’autre… On n’est pas tous des compositeurs ayant des vies trépidantes à raconter. Ce que j’aime dans le fait d’être plus abstrait sur le plan de l’écriture, c’est que ça peut être interprété de toutes sortes de manières par les gens qui écoutent. La musique peut toucher même si on ne parle pas de soi de manière personnelle… »

« Ce qu’on fait, c’est un peu de l’impressionnisme, je trouve, » continue celui qui cite le film Metropolis de Fritz Lang comme influence de l’esthétisme de Composite. « C’est souvent la musique qui génère des images et qui initie les sujets abordés dans les textes. Le thème des relations humaines a certainement découlé des deux années précédentes où on était très proches les uns des autres dans le groupe, souvent en tournée, toujours ensemble, l’intimité forcée, les relations de passage parfois brèves, mais intenses… C’est une vie un peu spéciale d’être musicien en tournée. Surtout que je suis quelqu’un de très solitaire, plutôt nocturne dans mes périodes de composition. »

On le devine, la proposition musicale riche et sophistiquée de Monogrenade a dû subir tout un travail d’adaptation afin de se transposer sur scène de manière satisfaisante pour le groupe. Et si Jean-Michel se considère davantage comme une bête de studio qu’un performeur né, il dit compenser en mettant l’emphase sur l’œuvre plutôt que sur la personnalité collective de Monogrenade : « Je suis effectivement ambivalent dans mon rapport à la scène. C’est une belle récompense d’aller jouer en temps réel devant des gens qui aiment ta musique, mais ce n’est pas ma passion première. Il y en a qui sont des magiciens de la scène. Tu leur donnes une guitare et un micro, et la communication avec le public est instantanément incroyable. Alors qu’avec Monogrenade, c’est davantage le défi de reproduire collectivement notre proposition musicale sur scène. Moi, c’est de la musique que je fais, pas du show-business. »

Jean-Michel Pigeon situe tout de même le son de Monogrenade sous le vocable de la pop. Pourtant, à part sur les radios communautaires et universitaires, on n’entend jamais Monogrenade sur les ondes commerciales. Sur ce terrain, le leader de Monogrenade dit devoir mesurer ses propos, car il avoue avoir tendance à s’emporter sur ce sujet : « On nous dit qu’on n’avait pas le bon format, que la voix n’est pas assez en avant… Pourtant, je pense qu’on gagnerait à élargir nos horizons radiophoniques au Québec. J’ai l’impression que c’est toujours les mêmes artistes et le même genre de chansons qu’on entend à la radio. Pourtant, dans les cinq dernières années, il y a eu tellement de la bonne pop québécoise qui s’est faite! Marie-Pierre Arthur, Peter Peter, Jimmy Hunt… Je ne comprends pas pourquoi les gens n’embarquent pas plus dans cette nouvelle vague. »



« Lorsque Blou est né au milieu des années 90, les gens n’arrivaient pas définir notre genre musical. Ils reconnaissaient bien des pointes de bluegrass, de musique traditionnelle, de rock ou de folk, mais personne n’arrivait à mettre le doigt dessus. On a donc inventé un mot qui définissait nos racines acadiennes, cajun et zydeco. Ça donné le terme « acadico », qui est resté depuis. »

C’était il y a 20 ans. L’auteur-compositeur-interprète Patrice Boulianne s’en souvient comme si c’était hier. Les autres membres de Blou et lui allaient même intituler leur premier disque Acadico (1998), un titre aussi donné à la pièce d’ouverture de 20 Temps, le tout nouvel album de Blou commémorant deux décennies de carrière. C’est dire toute l’importance du style qui a permis à la formation de se produire à travers une trentaine de pays et de recevoir moult récompenses, notamment lors du Gala de la chanson de la Nouvelle-Écosse et de celui de l’Association de la musique de la Côte Est.

« Être capable de voyager dans 36 pays pour chanter tes chansons en français, ça t’amène à chérir ta langue énormément. »

Blou est devenu aujourd’hui le projet personnel de Boulianne, un résident de la baie Sainte-Marie et réel ambassadeur de la culture acadienne. « Être capable de voyager dans 36 pays pour chanter tes chansons en français, ça t’amène à chérir ta langue énormément. À l’avoir proche du cœur. Parce que partager sa langue maternelle avec des gens qui ne la connaissent pas du tout, ça te donne une flamme. Et à voir les Radio Radio et Lisa LeBlanc aller, je me dis qu’il y a maintenant une relève prête à reprendre le flambeau, » explique celui qui a toujours refusé de déménager au Québec.

« J’ai décidé de rester en Acadie parce que ce sont ses paysages et ses gens qui m’inspirent. Mais c’est parfois difficile, surtout avec les coupures du gouvernement Harper dans les programmes d’aide au déplacement des artistes. J’ai l’impression que les Conservateurs ne comprennent pas l’importance de ces bourses pour les artistes francophones hors-Québec. C’est un peu comme si on nous poussait à chanter en anglais, une langue qui facilite l’exportation et la diffusion. Et c’est pas juste en musique. Le théâtre, la littérature et les arts visuels sont aussi touchés. Nous sommes en train d’appauvrir notre héritage culturel. »

Ainsi, Patrice Boulianne souhaitait rendre hommage à ses racines sur 20 Temps en enregistrant des duos avec Daniel Lavoie, Lina Boudreau et Mary Jane Lamond. « Daniel Lavoie, c’est pour mes origines manitobaines. Avant de déménager dans les Maritimes, j’ai passé mon enfance dans les grandes plaines, à Saint-Claude, où mon père faisait son possible pour acheter des disques francophones : Beau Dommage, Paul Piché, Francis Cabrel. Puis j’ai invité Lina Boudreau parce qu’elle représente l’Acadie. C’est certainement l’une des voix les plus belles et chaleureuses de la région. Et Mary Jane Lamond incarne les références celtiques présentes en Nouvelle-Écosse. »

Véritables mélanges d’influences, les compositions de 20 Temps se divisent en deux ambiances distinctes. D’abord, l’esprit festif acadico est toujours présent sur des titres comme « Sors tes souliers de danse », « Oh! Madeleine » ou « Anna et Louise », un hommage à la Louisiane. Mais ce sixième album de Blou revêt aussi une teinte folk plus intime sur « Là où on s’aime », dédiée à la mère de Patrice Boulianne atteinte d’Alzheimer ou sur « Lettre pour Annette », écrite à la mémoire d’une amie décédée subitement au début de la quarantaine.

« Ça m’a pris du temps avant d’avoir le courage d’intégrer au répertoire de Blou ces chansons plus personnelles qui cadrent parfois moins bien avec les compositions plus énergiques. Il fallait trouver un équilibre, mais aussi les mots justes et le bon phrasé pour bien rendre l’émotion. J’ai mis trois ou quatre ans avant de terminer la chanson pour ma mère et d’être enfin capable de l’interpréter sans me laisser envahir par l’émotion. Parce que je l’ai composée pour extérioriser ma peine et mon anxiété, comme une sorte de thérapie, » confie le musicien à propos de « Là où on s’aime », devenue la pièce thème de La Société de la maladie d’Alzheimer de la Nouvelle-Écosse.

Lancé il y a quelques mois à peine, 20 Temps lève ainsi le voile sur une autre facette de Patrice Boulianne que les fans de Blou à l’étranger découvriront bientôt, puisque le musicien entend bien présenter ses nouvelles compositions hors de nos frontières. « Grâce aux activités de réseautage organisées par RIDEAU, le gala de l’Association de la musique de la Côte Est ou la Francofête en Acadie, mon agence de booking (À l’infini) a développé un réseau de contacts imposant qui me permet toujours d’avoir l’Europe dans la mire. Je compte bien y retourner bientôt, » espère le chanteur qui entend bien jouer son rôle d’ambassadeur de la culture acadienne encore longtemps.