L’isolement peut comporter certains avantages.

Grandir dans la minuscule communauté mennonite de La Crete, Alberta, située à environ 250 km au sud de la frontière avec les Territoires du Nord-Ouest, signifie que Brad et Curtis Rempel n’ont pas connu le même degré d’exposition aux médias que la plupart d’entre nous.

Il est par exemple surprenant de découvrir quels genres musicaux les frères Rempel — professionnellement connus sous le nom High Valley — ne connaissaient pas.

« Avant de déménager à Nashville, nous n’avions jamais entendu parler de Michael Jackson », avoue Brad. « Jamais entendu parler de Led Zeppelin, de Nirvana, et de tous ces autres célèbres groupes que les gens tenaient pour acquis que nous connaissions. »

Pas de « Stairway to Heaven » ? Pas de « Billie Jean » ? Pas de « Smells Like Teen Spirit » ?

« Ricky Skaggs est l’un de trois seuls albums que nous avions le droit d’écouter dans notre jeunesse », expliquait Brad durant un récent exercice promotionnel à Toronto. « Nous n’avions ni radio ni télé : tout ce que nous avions, c’était de la musique bluegrass. On connaissait Ricky Skaggs, Del McCoury et Ralph Stanley, des trucs du genre. »

Ça rend les choses intéressantes, car si vous croyez entendre des échos de Mumford & Sons ou des Lumineers dans les joyeuses mélopées, les harmonies entraînantes et les rythmes endiablés de High Valley — et on pense ici à des pièces telles que « Young Forever » et « Dear Life » tirées de leur cinquième et plus récent opus du même nom — c’est que les Rempel affirment qu’ils étaient Mumford avant même que Mumford soit Mumford.

« Ça fait quinze ans que l’on fait ce qu’on fait, mais personne ne l’avait entendu avant », lance Brad. « En toute honnêteté, on a essayé de jouer notre musique pendant quelques années au Canada, mais on avait beaucoup de pression pour entrer dans un moule, on nous demandait d’écrire et d’enregistrer des musiques qui sonnaient comment du country formaté pour la radio. »

« Ça fait quinze ans que l’on fait ce qu’on fait, mais personne ne l’avait entendu avant » — Brad Rempel de High Valley

High Valley

« Nous avons racheté notre contrat de disques il y a deux ans et demi et nous nous sommes finalement dit “OK, c’est le temps de faire ce que nous avons toujours fait”. C’est là qu’on a commencé à entendre des groupes comme Mumford & Sons, les Lumineers ou les Avett Brothers sur les radios pop, et j’ai passé un coup de fil à Curtis et je lui ai dit “Hé ! Ils font jouer du bluegrass à la radio pop. Je me demande si les radios country vont bientôt leur emboîter le pas”. »

« Alors on est retournés en studio et on a commencé à jouer la musique que nous avions toujours jouée. Si vous écoutez le disque que ma famille a enregistré en 1988, quand j’avais quatre ans — et deux des chansons étaient de moi —, ça ressemble beaucoup plus à ce que nous faisons maintenant qu’à tout ce que nous avons fait entre temps. Et c’est ça que nous aurions dû faire pendant tout ce temps. »

L’auditoire américain découvre à peine High Valley, grâce à un contrat que le duo a signé avec Atlantic/Warner Music Nashville et la chanson « Make You Mine » — enregistrée avec la participation de leur héros d’enfance Ricky Skaggs —, mais nos compatriotes savent écrire des « hits » depuis au moins 2007, à l’époque où ils formaient un trio en compagnie de leur autre frère, Bryan. Ils ont eu deux succès dans le Top 20 — « Love You for a Long Time », « Trying to Believe » — et un dans le Top 10, « Rescue You ».

Brad Rempel a également gagné le Prix SOCAN 2016 dans la catégorie country grâce à « Make You Mine », ainsi que quatre Prix #1 SOCAN pour avoir dominé le palmarès CMT Canada Countdown : en 2016 avec « Come On Down », coécrite en compagnie de Jared Crump (SESAC) et Frederick Wilhelm (BMI) ; deux fois en 2015 avec « Make You Mine » et « She’s with Me », toutes deux coécrites avec Seth Mosley (SESAC) et Ben Stennis (BMI) ; et en 2013 avec « Let it Be Me », coécrite avec Crump et Philip Barton (BMI).

Lorsque Bryan Rempel a quitté le groupe pour passer plus de temps avec sa famille, Brad et Curtis ont eu le champ libre pour retourner à leurs racines musicales. « On s’est dit qu’on préférait être les premiers dans cette lignée musicale de duo country familial que les 25es, mais ça n’a jamais été vraiment notre tasse de thé, même si nous avons tenté de nous en convaincre nous-mêmes pendant quelques années », explique Brad. « Notre musique porte naturellement sur la foi, la famille et l’agriculture, ce genre de chose, c’est ce qui me permet d’écrire des chansons “old school” avec le vocabulaire bluegrass. »

« Rescue You » est la chanson qui a vu une solide équipe de création musicale prendre forme : Brad, son pote Ben Stennis et le réalisateur nommé aux Grammys Seth Mosley, qui est également membre de Me in Motion, un groupe de rock chrétien. Ensemble, les trois hommes sont tellement à l’aise que leur processus créatif fait envie.

« Ben, sa femme et ses enfants, ma femme et nos enfants ainsi que Seth, sa femme et ses enfants nous rendons tous à la plage, plusieurs fois par an, à Pensacola Beach, en Floride », raconte Brad. « On écrit durant la journée, on fait un saut à la plage, on rentre, et on enregistre. Beaucoup des lignes chantées sur Dear Life, je les ai enregistrées alors que je les chantais pour la première fois dans notre maison de plage, micro en main. »

« On a écrit la chanson, je l’ai chantée, et c’est ce que l’on entend sur le disque. “Dear Life”, “Don’t Stop”, “Memory Making” et “Young Forever” ont toutes été enregistrées à la plage. On adore créer de cette façon. On adore enregistrer de cette façon. Aucune des chansons auxquelles j’ai participé sur ce disque n’a été écrite sur Music Row [à Nashville]. J’ai acheté cette vieille maison de campagne, alors on travaille soit là, soit chez Seth, à Franklin, au Tennessee, ou à la maison de plage. »

Brad décrit ce processus qu’il décrit comme ne connaissant aucune pression. « Nous avons un studio de fortune à la plage », explique-t-il. « Pour plusieurs des pièces sur l’album, Seth arrivait avec son ordinateur portable et nous disait “je veux tester mes capacités et n’utiliser que les fonctionnalités de base de Logic [un logiciel d’enregistrement]”. Pour certaines des chansons, je chantais carrément assis sur une chaise, le micro en main. On en a aussi enregistré au Castle, un endroit où Al Capone avait l’habitude de passer du temps quand il était au Tennessee. »

« Warner a été très cool », poursuit Brad. « On a signé avec Warner Atlantic et, soudainement, on avait un budget qui nous permettait d’enregistrer où on voulait, ce qui était hallucinant. Mais on a quand même préféré aller chez Seth, comme on l’avait fait pour County Line, l’album précédent. On est des mennonites près de nos sous. On n’a pas vraiment envie de changer quoi que ce soit. »

Quant au choix de sujets, Brad affirme être inspiré par la nostalgie. « Presque tout me rappelle mon enfance », confie-t-il. « C’est très important pour moi, pour mes enfants, que tout ce que nous ne faisions que des choses qui nous donneront de bons souvenirs. Je pourrais prendre l’avion et ne plus jamais les revoir. Comment se souviendront-ils de moi ? Je pense beaucoup trop à ce genre de choses. »

« Il y a une chanson qui s’intitule “Memory Making”, l’une de celles qu’on a enregistrées à la plage. C’est ma femme Rebekah qui a trouvé le titre de la pièce “Dear Life”. Je venais de rentrer à la maison et elle m’a dit “Nos enfants grandissent à vue d’œil, j’ai l’impression de m’accrocher à la vie.” Et je me suis dit “Ça, c’est un excellent titre de chanson”. On l’a gardée pour notre voyage à la plage suivant et j’en ai parlé aux gars, je l’ai écrite comme une page de mon journal intime. J’espère que tout l’album est comme un journal intime : voici les choses qui nous remplissent de gratitude, voici les choses qui nous effraient, et voici ce qui nous rend fiers. »

Avec le récent placement de « Young Forever » dans la franchise de jeu vidéo ultra populaire Madden 2017 ainsi que dans les télédiffusions de basketball universitaire sur ESPN, ainsi que l’arrivée de « Make You Mine » sur les palmarès country américains, la philosophie musicale de High Valley est comme un vent de fraîcheur.

« Les gens appellent ça de l’Americana, du folk, du Mumford, mais nous appelons ça du bluegrass, même si on a engagé un réalisateur très progressiste qui lui donne une “vibe” très 2016 », explique Brad. « Mais on y met tous les banjos, les mandolines et les autres instruments acoustiques qu’on peut. C’est comme un tir au poignet entre ces deux influences, c’est ce qui crée le “son” High Valley dont nous sommes si fiers. Une chose est sûre, c’est très différent de la radio country normale. »



Peu d’artistes québécois peuvent se vanter d’avoir un rythme de création aussi effréné que Souldia. Depuis octobre 2015, le rappeur emblématique du quartier Limoilou à Québec a fait paraître cinq albums : deux en groupe (Les poètes maudits avec Facekché et Fils de l’anarchie avec Northsiderz), un en duo (Amsterdam avec Rymz) et deux en solo (la compilation de b-sides Les archives vol. 3 et son quatrième opus officiel Sacrifice).

Plus de 10 000 albums vendus plus tard, l’artiste de 31 ans est à la fois ravi et épuisé de son année 2016. « Je n’ai eu aucune fin de semaine de libre. Je finissais le show d’un album et, le lendemain, je commençais une autre tournée… On peut dire que j’étais dans le jus », admet le rappeur. « Ce que je trouve le plus cool, c’est voir mon public s’agrandir. À mes shows, j’ai  rencontré beaucoup de fans de death metal avec des tatouages dans la face… Je crois qu’ils tripent sur le côté plus agressif de ma musique. »

Pourtant, Sacrifice est moins incisif que le percutant Krime Grave, paru en 2014. Élaborées par des producteurs hip-hop renommés comme Gary Wide, Ruffsound, Ajust, Hotbox et DJ Manifest, les compositions y sont plus planantes, tandis que le débit du rappeur, souvent altéré par un vigoureux Auto-Tune, y est plus mélodieux.Souldia

« L’atmosphère est plus relax, concède le principal intéressé, mais je crois que les textes sont encore aussi tranchants. Tranchants, mais moins axés sur la violence, même si j’ai des traumatismes reliés à ça. Sur mon précédent, j’étais arrivé de façon très intense avec un clip de braquage de banque. Là, j’ai vieilli un peu et je me suis demandé quel héritage artistique j’avais envie de laisser à mes futurs enfants. Je veux pas juste leur léguer des clips sombres avec des AK-47 dedans. »

Au lieu d’uniquement « broyer du noir », Souldia tente de trouver la lumière en abordant ses envies de liberté (Corbeau), sa nouvelle relation conjugale (Skeletor) et son amour pour la scène (Overdose). Évidemment, il en profite aussi pour régler ses comptes (La liste noire) et replonger dans certains épisodes troubles de son passé, allant jusqu’à évoquer les fois où il a fait pleurer sa mère « entre deux clients de coke au téléphone » (la puissante Inoubliable).

« J’ai pris un peu plus de maturité, mais je ne ramollirai jamais. La petite boule de violence va être au fond de moi jusqu’à la fin de ma vie. Tout ce que je peux faire maintenant, c’est m’arranger pour que ce soit une bonne flamme », confie-t-il, sincère. « J’essaie maintenant d’éviter les textes trop dépressifs parce qu’en fin de compte, j’écris pour donner du feeling aux gens. Je veux pas les mettre dans une bulle pour qu’ils aient le goût de se pendre. »

Malgré cette prise de conscience, Kevin St-Laurent sait très bien que son alter ego Souldia évoluera toujours en marge de l’industrie musicale québécoise. Ignorée par la plupart des grands médias, boudée par les radios commerciales et mise à l’écart des plateaux télé, sa musique est confinée à rayonner sur Internet,  notamment sur Spotify et YouTube, là où elle obtient un succès plus qu’enviable. « Au stade où j’en suis, j’me fous un peu du mainstream. Avec les réseaux sociaux, je suis en quelque sorte devenu mon propre média », remarque celui qui a plus de 34 000 abonnés sur sa page Facebook.

« Au stade où j’en suis, j’me fous un peu du mainstream. Avec les réseaux sociaux, je suis en quelque sorte devenu mon propre média. »

En découle une information plus centralisée, moins teintée par le sensationnalisme propre à quelques médias généralistes de sa ville. Sorti de prison au tout début de la décennie, après avoir purgé une peine de 36 mois pour possession d’une arme à feu chargée, le rappeur a subi une couverture médiatique douteuse pendant plusieurs années.

« Quand j’ai été libéré, le premier show que j’ai fait, c’était à L’Impérial, et la moitié de l’assistance était constituée de policiers avec des boucliers et des chiens. Ça attirait beaucoup de journalistes qui cherchaient à me faire de la mauvaise presse. Des fois, c’était ridicule… Le lendemain de mes lancements, par exemple, on parlait de moi dans les journaux pour dire que tout s’était bien passé finalement », se rappelle-t-il, sourire en coin.

« Maintenant, ça va vraiment mieux de ce côté-là. La police vient faire un tour très rapide à mon lancement, pis ça s’arrête là », poursuit-il. « Mais reste qu’en entrevue, on commence toujours ou presque en me parlant de mon passage en prison. Ça me dérange pas d’aborder le sujet, mais récemment, j’ai décidé d’enlever cette information-là de ma biographie officielle. Je préfère mettre de l’avant ma musique. »

Actif depuis plus de 15 ans sur la scène rap de la capitale, Souldia possède effectivement un bagage musical de plus en plus imposant. Bilan de son tortueux passé, ce quatrième album représente d’ailleurs l’important sacrifice qu’il a dû faire en choisissant la voie de la musique après avoir touché le fond.

« Il y a des années où j’aurais fait beaucoup plus d’argent avec le crime qu’avec le rap », confie-t-il. « Ça a été vraiment dur de pas basculer, de pas flancher, mais j’ai persévéré, et c’est maintenant que ça commence à être payant. C’est un processus long et épuisant, mais je peux maintenant dire que c’est possible. »

 



Malgré sa renommée grandissante, il ne serait pas injuste de qualifier le groupe The Brooks de « secret le mieux gardé de Montréal ».

Lancé par des musiciens renommés aux parcours éclectiques (au fil des ans les huit membres ont accompagné des artistes comme Yann Perreau, Fred Fortin, Yanick Rieu, Kroy et… Michael Jackson !), ce band aux racines soul et funk est en train de devenir un projet sérieux, dont l’identité musicale apporte un vent de fraîcheur sur la ville.

« Ça fait des années que Montréal est connu pour ses bands indie-folk-rock et pour tous ceux qui veulent un break, il y a The Brooks », lance en ricanant Alexandre Lapointe, bassiste et leader officieux de cette bande de joyeux drilles.

Le meilleur endroit pour découvrir les Brooks, c’est lors de l’une de leurs soirées de « soul therapy » au bar Dièze Onze. C’est dans ce petit club du Plateau Mont-Royal que le groupe est né et c’est là qu’il renaît chaque semaine, en jouant tous les mercredis soir devant un public survolté qui compte de plus en plus de fans. Le succès est tel qu’il a souvent été question de s’installer ailleurs, mais c’est dans l’intimité du Dièze Onze que The Brooks se sent le plus à l’aise. « Au départ, on s’installait pour une résidence de trois mois, en jammant avec des chanteurs différents, mais je pense qu’on a eu un peu trop de fun à faire ça parce qu’on va bientôt fêter nos trois ans ! », explique Alexandre.

La scène a aussi complètement transformé le projet d’origine, qui était plus modeste et plus anonyme. « On est tous des musiciens pigistes, occupés à plein de jobs différents et ce n’est pas toujours facile de se réunir », poursuit Alexandre. « Alors au départ, on pensait faire un trip de studio et se concentrer sur la musique instrumentale pour le cinéma (le groupe a notamment créé la bande originale des Maîtres du suspense de Stéphane Lapointe) ou pour les jeux vidéo. Même l’idée de faire un album n’était pas dans nos plans. » Mais les pièces du puzzle se sont mises en place progressivement. Le groupe s’est retrouvé sur scène et s’est mis à grandir, au point de compter huit musiciens aujourd’hui, incluant un personnage aussi groovy que charismatique, qui s’est naturellement installé derrière le micro.

Parmi les chanteurs avec lesquels The Brooks a partagé la scène à ses débuts au Dièze Onze se trouvait Alan Prater qui, en plus d’être un solide soliste, a déjà accompagné Michael Jackson à la trompette et au trombone. D’abord collaborateur, Alan est devenu un membre à part entière du band et il est une composante essentielle de leur plus récent disque, le très funky Pain and Bliss. Et même s’il a aussi collaboré avec les gars de Valaire sur leur dernier disque, Oobopopop, sa loyauté envers The Brooks est totale. « Au départ, Alan devait surtout collaborer en faisant des cuivres, mais il s’est plutôt mis à chanter des mélodies et ç’a tout de suite cliqué. Il nous apporte tellement, avec son énergie, ses histoires de la belle époque, mais aussi avec ses paroles, qui sont parfois très personnelles, explique Alex. Mama, par exemple, a été directement inspirée par sa mère. »
The Brooks, Pain and BlissLe thème de la maternité – très présent dans le quotidien du groupe, dont trois des membres sont devenus papas récemment – est d’ailleurs évoqué sur la pochette, qui montre une mère et son enfant. Le look de l’illustration rappelle certains albums afro-beat des années 1970, ce qui n’a rien d’étonnant, puisque The Brooks a fait appel à l’artiste nigérian Lemi Ghariokwu, qui a travaillé sur plusieurs pochettes de Fela Kuti, un artiste dont l’influence s’ajoute à celle des grands des labels Stax et Motown.

« Tu sais, on n’est pas qu’une gang de musiciens, on est aussi des chums mélomanes ; on se fait des soirées vinyle dans lesquels tout le monde apporte 2-3 disques et on passe des heures à se faire écouter de la musique », explique Alexandre. « Même si on travaille dans plusieurs styles différents, il n’y a jamais eu de conversation sur le genre de musique que nous allions faire ; on s’est mis à jammer entre nous et c’est ça qui est sorti, sans la moindre contrainte. »