Mathieu Lafontaine ne roule pas ses « r » dans la vraie vie. Sur scène, dans la peau de Claude Cobra, il devient celui qui fait rire, mais sans n’être qu’une farce. « Heille! Fais-tu frette ? T’es-tu ben dans ton coton ouaté ? », c’est une question que plusieurs ont déjà posée à un ami, mais elle est dorénavant synonyme de ver d’oreille. Le hit Coton ouaté, de Bleu Jeans Bleu, est une œuvre accrocheuse et brillante, mais son succès est également dû à l’œuvre du timing.

L’album Perfecto, paru à la fin du mois de janvier est venu consolider la prestance du quatuor qui profitait déjà d’un bon vent dans le dos. « C’est comme si le troisième album confirmait que c’est pas une joke », lance le chanteur et auteur Mathieu Lafontaine.

Le clip annonçant la sortie du single Coton ouaté, paru à la fin du mois d’avril, a créé un petit effet boule de neige. Le refrain s’inscrivant à merveille dans un printemps qui ne finissait plus de ne pas arriver a vite capté l’intérêt des Québécois vraiment impatients de se mettre en culottes courtes. « Ce serait prétentieux de dire qu’on pensait avoir écrit une phrase avec autant de potentiel, admet Mathieu. Si on n’avait pas eu la vidéo avec la chorégraphie et si on avait eu un printemps où il fait chaud, ça n’aurait peut-être pas marché. »

Selon le chanteur, aujourd’hui, il y a un « coton ouaté challenge » sur les réseaux sociaux pour essayer de faire la chorégraphie, des écoles ont sélectionné la chanson pour leur spectacle de fin d’année et l’expression engendre de plus en plus un référent à la chanson. « On rêve vraiment que ça s’installe comme une expression : “Fait tu frette?“ Et que tout le monde réponde : “T’es-tu ben juste en coton ouaté?“ On voudrait vraiment que ça devienne une phrase assez forte pour faire partie des communications des gens comme quand les gens disaient “Ma vie c’est de la marde“ en chantant Lisa Leblanc. »

« Pour que ta musique drôle soit considérée comme de la vraie musique, il faut vraiment que tu travailles fort »

Les gars de Bleu Jeans Bleu ne sont pas des humoristes qui font de la musique. « T’as de l’humour sur trame musicale et t’as de la musique qui va s’adonner à te faire rire, précise le chanteur. On veut vraiment s’assurer de toujours fiter dans la catégorie musique. » Souvent comparé aux Trois Accords, le groupe trouve le rappel très flatteur tout en assurant que l’objectif n’a jamais été de les imiter. « Les deux projets ont des similitudes, mais en ce qui concerne le style musical, nous on n’est vraiment pas limité par un style. Les Trois Accords ont toujours été pop-rock. Nous, on dirait qu’on peut aller partout : funk, jazz, rap… », énumère-t-il.

Les ritournelles amusantes ont également su capter l’intérêt des enfants qui « ne sont jamais gênés d’écouter la même toune 20 fois de suite », souligne Mathieu. Ceci fait en sorte que les vers d’oreilles se propagent des enfants aux parents qui, eux, peuvent choisir d’aller se procurer l’album pour éviter de n’entendre que « J’ai mangé trop de patates frites » à répétition.

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Sur scène, le plaisir est contagieux, mais les arrangements musicaux mènent le bal. « C’est théâtral, mais les tournures de phrases, si tu ne portes pas attention ou si tu ne parles pas français, ce n’est pas hilarant. Petit pudding (sortie sur Franchement wow en 2016), c’est une chanson un peu triste si tu ne sais pas qu’on parle d’un pudding. L’accent est toujours sur la musique, même si c’est amené au plus profond du champ gauche. »

Ce n’est pas parce que c’est humoristique que c’est écrit sur le coin d’une table. Il y a un dur labeur qui se cache derrière chaque sourire au visage d’un auditeur. « Pour que ta musique drôle soit considérée comme de la vraie musique, il faut vraiment que tu travailles fort », dit Mathieu, qui est le seul membre du groupe à ne pas avoir de formation en musique. « Je suis le non instruit du lot, s’amuse-t-il à répéter. Grâce à ça, je peux faire n’importe quoi parce que j’ai la liberté de l’innocence. Je ne m’empêche pas de faire des choses sous prétexte qu’elles ne sont pas théoriques. » Le chanteur demeure réaliste : sans un groupe grandement outillé musicalement, cette naïveté qui l’habite et qui lui sert serait quasi-impossible.

Le plaisir des Bleus a contaminé (avec joie) tout le monde sans toujours avoir à passer par le canal des radios commerciales, ce qui représente une certaine fierté pour le groupe. « Le bouche-à-oreille a fonctionné, on dirait, assure le leader du groupe. Une connaissance m’a dit que sa voisine d’en haut, une dame âgée a failli manquer une livraison postale à cause de nous. Elle l’a entendu dire au livreur “J’écoutais les Bloue Jeans Bloue et je ne vous ai pas entendu.“ »

« Il faut se satisfaire en ayant tout le temps faim, dit Mathieu, qui souhaite vivre le momentum en l’appréciant le plus possible. Rien n’est acquis et on va tout faire pour garder le plaisir qu’on a et renouveler le divertissement qu’on propose. »

Le divertissement sera sur la route cet été. L’horaire était déjà « juteux » et les shows se multiplient encore. Sortez ! Et sortez vos cotons ouatés, on ne sait jamais !



Philemon CimonBeau Dommage a chanté Montréal. Richard Desjardins, l’Abitibi. Dédé son Lac – et Plume Jonquière, en s’excusant -, même Trenet a chanté Québec. Curieusement, avant Philémon Cimon, personne n’avait autant chanté la plus belle région du Québec, Charlevoix, « où j’ai passé tous mes étés, plus jeune », confie-t-il. Où sa grand-mère Lucile résidait, grand-mère dont on entend la voix sur l’album Pays, disque de racines dont l’écriture et l’enregistrement fut abordé de manière quasi ethnographique.

La belle région de Charlevoix n’a toutefois pas été oubliée dans notre mémoire culturelle, relève l’auteur, compositeur et interprète. « Je crois juste qu’elle a été « chantée » différemment. Menaud, maître draveur, ça se passe à Charlevoix. Dans notre littérature, beaucoup d’événements se déroulent dans cette région : Angéline de Montbrun de Laure Conan se passe dans une espèce de lieu imaginaire, mais associé à Charlevoix puisqu’elle est originaire de La Malbaie. Puis y’a [le cinéaste] Pierre Perreault! »

Donc, poursuit l’intarissable Cimon, « c’est curieux, y’a pas vraiment de chansons devenues populaires qui évoquent Charlevoix, mais quand [l’anthropologue et folkloriste] Marius Barbeau a fait de l’ethnographie dans les années 1910, il s’est d’abord rendu aux Éboulements où il a recueilli cinq cents chansons – pas seulement des chansons traditionnelles uniquement chantées dans Charlevoix, mais certaines qui en sont originaires. C’est très étrange, la région est importante dans notre folklore, mais dans le présent, y’avait rien. »

Ce à quoi remédie Cimon avec Pays, son quatrième album paru à compte d’auteur. Un curieux album, enregistré live dans l’église de Saint-Joseph-de-la-Rive sur ruban quatre pistes. On entend le cillement du ruban magnétique emplir les silences entre les notes de guitares et de piano, entre les voix conjuguées de Cimon et d’Adèle Trottier et Josianne Boivin. On entend les bruits du village, son train panoramique qui passe à proximité, on entend des fausses notes, des rires et des bribes de conversations volées à la spontanéité du moment.

C’est Cimon qui fait du Perreault, « ma plus grosse inspiration pour cet album ». Le musicien se fait l’apôtre du légendaire réalisateur de Pour la suite du monde, créateur du cinéma direct ayant eu une influence déterminante sur la Nouvelle Vague : « Je me reconnais beaucoup dans la démarche de Perreault ». Ainsi, Philémon a fait de Pays une forme de « musique directe » avec ses chansons écrites à Montréal, mais destinées à être enregistrées dans ce pays qu’il cherche à nommer, pour paraphraser l’auteur (la chanson Les Pommiers envahis).

Ainsi, la démarche, l’enregistrement de ce répertoire est intrinsèquement lié à l’écriture et à la composition de celui-ci, comme si ces chansons ne pouvaient exister que dans cet écrin intime et imparfait. Enregistrer ainsi, « c’est vivre une expérience qui va au-delà de la musique même. En bout de ligne, la chanson devient au service de l’expérience, et ce qu’on enregistre, ce n’est plus de la musique, c’est la vie, comme disait Perreault ».

Une expérience qui trouve son sens dans une quête d’identité, la sienne et celle de son pays. « Premièrement, mon pays, ce n’est pas juste Charlevoix », tient à préciser Philémon Cimon, né à Limoilou. « C’est toute une recherche qui m’a menée à passer par Charlevoix. Au fond, mon pays, c’est mon rapport à mes racines. C’est un pays intime, affectif, qui passe nécessairement par Charlevoix parce que quand j’étais petit, j’ai vu énormément de beau là-bas. Un grand terrain de jeu, un grand terrain d’émerveillement, surtout. »

Son pays n’est pas politique, ajoute-t-il. Ni physique, indéfini par les frontières, « passée Baie-Sainte-Catherine, c’est encore mon pays. À Tadoussac, on est en dehors de Charlevoix, pourtant je me sens encore chez moi. Mon pays est lié à la recherche de qui je suis, et j’ai donc fouillé jusque dans mon enfance, et tout d’un coup, je suis allé au-delà de l’enfance, parce qu’une ce chemin-là fait [dans ma recherche], j’ai eu envie de remonter encore plus loin pour voir s’il n’y avait pas quelque chose d’intéressant. »

Ce que Philémon a trouvé l’a inspiré. L’histoire, la sienne, la nôtre. « Jusqu’à Jacques Cartier, qui s’est promené par tout, lui d’origine bretonne. Ça va jusqu’aux Premières Nations, évidemment », évoquées sur la chanson qui ouvre le disque, Charlevoix ventre infini : « Domagaya volé /Taignoagny volé /Stadaconé volé /Oshelaga volé… »



Callum Afcouliotis a tout appris à l’aide d’un iPod dès son plus jeune âge. Le chanteur, dont le nom de scène est COTIS, se souvient encore de l’époque où son grand frère y copiait des tonnes de chansons juste pour lui et il s’y « plongeait corps et âme afin de tout écouter ». Dans le lot se trouvaient de morceaux de Kanye West et Kid Cudi.

Mais son frère était loin de se douter que toute cette musique pousserait COTIS à écrire ses propres « petits raps et chansonnettes ». Ce n’était pas grand-chose, au départ (« j’écrivais genre un refrain aux six mois »), mais c’était néanmoins clair que la création musicale deviendrait un exutoire important pour lui.

Maintenant âgé de 19 ans, COTIS se taille lentement mais sûrement une place aux frontières de la pop, du R&B et du hip-hop, et il attire de plus en plus d’attention. L’an dernier, il a lancé « Phone Light Up », son meilleur succès à ce jour avec plus de 3,6 millions d’écoutes sur Spotify. On peut y entendre le « flow » mélodique de COTIS — qui n’est pas sans rappeler Post Malone, par moments — sur un « beat » puissant sur mesure pour les clubs. C’est ce qu’on l’on pourrait appeler un « banger ».

Mais même avec un tel succès, que l’on retrouve sur son plus récent EP, intitulé Wait! , en compagnie de pièces plus pop comme « All Night » et « Ride », COTIS est le premier à admettre qu’il a l’impression de « ne rien avoir accompli encore ». En cette ère numérique, il peut être facile de s’enorgueillir d’une seule réussite, mais ce jeune homme sait qu’il a encore des croûtes à manger.

« Je cherche encore ma propre identité en tant qu’artiste, et c’est ce qui compte le plus pour moi », confie-t-il. « Les diffusions en continu, c’est bien, mais ce que je veux vraiment, c’est sortir des “bangers”. Ma priorité pour l’instant, c’est la constance de la qualité de ce que je fais. »