Article par Olivier Robillard Laveaux | jeudi 1 septembre 2016
« Si j’avais su qu’Avec pas d’casque durerait plus de 13 ans, j’aurais choisi un autre nom de groupe…»
À l’aube de la sortie du quatrième album complet d’Avec pas d’casque, Effets spéciaux, Stéphane Lafleur revient sur les débuts de la formation et l’évolution qui a suivi. Le guitariste, chanteur et auteur a beau désavouer le nom même du groupe, l’expression « avec pas d’… » a déjà intégré notre jargon populaire. Merci au succès d’Astronomie (2012), l’un des plus beaux disques québécois des 10 dernières années, qui a grandement contribué à élargir le public d’Avec pas d’casque.
« Au départ, le groupe était presque une farce, un accident », explique l’artiste aussi cinéaste. « Il y avait beaucoup plus d’humour dans mes textes. Je ne m’attendais pas vraiment à ce qui ça dure longtemps. Joël Vaudreuil (batterie) et moi allions gueuler nos chansons en première partie du groupe punk La Descente du Coude. L’humour était pour moi une forme de protection parce que si les gens rient ou aiment pas ça, tu peux toujours te cacher derrière la joke. Le plus difficile a été d’assumer mes textes plus sérieux parce que je savais que si les gens trouvaient ça quétaine ou poche, je ne pourrais pas me défiler. Mais le public nous a vite suivis dans nos tounes plus sérieuses. Ç’a été un déclic. »
Le contraire aurait été étonnant. Portées par un raffinement minimaliste au service d’images saisissantes de beauté, les chansons d’Avec pas d’casque sont de véritables forces tranquilles; à la fois pudiques, mais désarmantes de sincérité. « J’ai jamais été un gars d’histoire. Ni dans mes chansons ni dans mes films qui sont plus réputés pour leurs ambiances. C’est ça qui m’intéresse. Pour ce disque, j’avais ce désir de simplifier encore davantage mes textes pour laisser plus de place à la musique. Il y a encore beaucoup de métaphores dans ce que j’écris, mais je suis vraiment fier d’avoir évacué l’adverbe « comme » des textes de l’album. C’est l’air niaiseux, mais c’est un exercice qui me sert beaucoup. Au lieu de dire « tes yeux sont comme des diamants », j’écris « tes yeux sont des diamants ». L’image devient plus trippante. Ça devient presque de la BD, tu vois des diamants à la place des yeux. L’univers se déploie devant toi. »
« Peu importe ce qui agite tes jours et ta tête, la recherche de calme finit toujours par te rattraper. »
Malgré son titre clin d’œil au septième art, Effets spéciaux n’est pas un album d’artifice. Outre une présence plus marquée des synthétiseurs (Mathieu Charbonneau), il n’y a pas de virage musical à 180°. « Je vois plutôt le titre en lien avec les relations interpersonnelles. Il y a des effets spéciaux qui se créent lorsque deux personnes entrent en contact ou lorsque deux corps se touchent. Juste avant d’embrasser une personne pour la première fois, il y a quelque chose qui se passe, quelque chose dans l’air. L’idée est à la base du concept de la pochette et du vidéoclip pour la pièce Derviches Tourneurs. Cette espèce de flux lumineux qui relie les visages des personnages. »
Bien que les textes demeurent cryptés, on comprend tout le bien qu’ont eu ces effets spéciaux sur Stéphane Lafleur. Le succès d’Astromonie (Félix du Choix de la critique en 2012), la réalisation du film Tu dors Nicole et une vie amoureuse plus tumultueuse l’ont propulsé au cœur d’un tourbillon émotionnel éreintant. « Il y a une recherche de calme et de paix sur ce disque. Les mots qui reviennent le plus souvent sont lenteur et lumière. Peu importe ce qui agite tes jours et ta tête, la recherche de calme finit toujours par te rattraper. Les derviches tourneurs sont des danseurs qui tournent en rond sur eux-mêmes vraiment longtemps, comme s’ils entraient en transe. C’est comme ça que je me sentais. J’avais l’impression de toujours avoir à courir. On a beau avoir plein de projets stimulants, on oublie parfois de s’arrêter et de prendre du recul pour comprendre pourquoi on fait tout ça. C’est à travers certaines rencontres que j’ai retrouvé le paisible. Il y a des gens plus rassurants que d’autres. »
À ce titre, certains disques sont aussi plus rassurants que d’autres… Une catégorie à laquelle appartient Effets spéciaux.
Photo par LePigeon
Alaclair Ensemble : Agriculture urbaine
Article par Philippe Renaud | mercredi 7 septembre 2016
L’omniprésent collectif hip-hop Alaclair Ensemble lançait le 2 septembre 2016 son quatrième album officiel, Les Frères cueilleurs, quelques mois après l’amusant et dansant premier disque du projet parallèle Rednext Level de Maybe Watson et Robert Nelson, et quelques semaines avant Long-Jeu, l’attendu premier disque de chansons de KNLO. L’Alaclair fontaine n’a vraisemblablement pas fini de jaillir, intarissable source de grooves coulants et de rimes toniques dont on s’abreuve sans modération.
Penché sur le coin de cette table d’une terrasse ensoleillée, Ogden Alaclair, alias Robert Nelson, nous sert une petite leçon d’histoire québécoise en guise d’explication du titre de ce nouvel album.
« Concrètement, c’est une référence aux Frères chasseurs, la société secrète fondée par Robert Nelson », non pas le rappeur qui nous parle, mais le vrai dont il a emprunté le nom, le patriote, le révolutionnaire qui a décrété l’indépendance du Bas-Canada en 1838 puis, retourné à la médecine après ses années de politique militante (et militaire), est décédé à New York en 1873.
Les Frères chasseurs, donc. « L’idée était inspirée du fonctionnement des loges maçonniques, se servant des clubs de chasseurs, au Québec et au nord-est des États-Unis comme le Vermont, pour tenir leurs réunions en vue de la seconde révolution des Patriotes, qui a finalement échoué » en 1838. Une guérilla bas-canadienne, en somme, visant à renverser le pouvoir colonial. « Quant à nous, les chasseurs sont devenus cueilleurs… »
« Une voix, un beat, ça reste très spécial pour nous, et malgré l’apparence minimaliste de la démarche, c’est très riche comme manière de faire de la musique. », Robert Nelson, Alaclair Ensemble
« Notre titre d’album est dans le même esprit que toutes nos références avec le Bas-Canada », commente KNLO qui, pour sa part, offre une explication plus ésotérique, ce qui n’étonnera pas ceux qui connaissent le personnage : « Y’a un gros concept global, cueillir, ramener du pain, mettre du beurre sur le pain… Ou encore, cueillir les idées dans la musicosphère. Cette notion m’apparaît lorsque je réécoute l’album : rester ouvert d’esprit » dans la création.
Une création qui s’est faite en tribu, dans un chalet, sous la coordination du beatmaker Vlooper qui a assumé le rôle de réalisateur, compositeur et directeur musical des Frères cueilleurs. « De tous nos albums, c’est celui sur lequel tu peux dire qu’une personne a pris le contrôle – lui-même avait manifesté l’envie de prendre cette responsabilité, et l’idée a bien été reçue dans le groupe. »
Ses productions sont franchement délectables, très fraîches, vaguement expérimentales au début, plus funk sur la fin (avec un long jam en finale de plus de sept minutes, DWUWWYL), entrecoupé de quelques grooves rappelant le bon son new-yorkais, nourri au jazz-funk, des années 90. Surtout, l’atmosphère générale de cet album porte moins vers la folie des précédents efforts : Les Frères cueilleurs est, étonnamment, le plus sobre des disques du groupe, comme si on pouvait percevoir un retour aux sources.
« Pas un retour aux sources du rap – un retour aux sources de ce que nous sommes », précise Robert Nelson. Avec Alaclair, on a fait beaucoup de choses, musicalement, on a exploré toutes sortes de styles, et ce fut libérateur à cet égard. Mais à la base, ce qu’on fait depuis le plus longtemps, ce sont des beats, et rapper dessus. On aime vraiment ça, faire du bon vieux rap. Une voix, un beat, ça reste très spécial pour nous, et malgré l’apparence minimaliste de la démarche, c’est très riche comme manière de faire de la musique, il y a encore moyen d’être original et créatif dans ce cadre. Une manière de célébrer ce médium qui est le rap, et avec lequel on a grandi. »
Voyez comment ces gars-là ne font rien comme les autres. KNLO : « Je pense simplement que nos nouvelles chansons vont s’ajouter aux quelque deux cents autres, et c’est ce qu’on va présenter sur scène. Ou à peu près. » Robert Nelson précise : « Ça nous a pris du temps à nous l’admettre à nous-même que ce n’est pas par paresse qu’on ne prépare jamais de liste de chansons. En fait, lorsqu’on se donne la peine d’en faire un, ça ne donne pas toujours de bons concerts. Alors, on actionne le V-shuffle. »
Le quoi? Le V-shuffle. Comme dans : le brassage à Vlooper. Le réalisateur est aussi DJ aux commandes du spectacles, chef d’orchestre à l’affût de l’ambiance, prenant le pouls de l’auditoire, choisissant quelle sera la prochaine chanson. Chaque concert est unique! « On ne sait pas quelle sera la prochaine chanson, indique KNLO. On n’a qu’à entendre les premières secondes pour reconnaître la chanson et savoir ce qu’on a à faire. L’idée, c’est que chaque auditoire est différent : tu ne peux pas donner le même concert dans un après-ski à Sainte-Adèle et à Cap-aux-Meules. C’est d’ailleurs là, à Cap-aux-Meules, qu’on a appris cette leçon… »
« On a traumatisé du monde ce soir-là », se rappelle Robert Nelson. « On a créé de gros malaises. C’est là qu’on a compris qu’on pouvait autant donner un concert de boys band qu’un show de punk. C’est la foule qui décide, en quelque sorte. Le mieux, c’est encore de partir un spectacle, et de voir comment ça se déroule. On laisse à Vlooper le soin de diriger tout ça! ».
Photo par Dustin Rabin
Billy Talent atteint de nouveaux sommets
Article par Nick Krewen | jeudi 1 septembre 2016
Billy Talent était prêt. L’album était écrit, les chansons avaient été répétées et le vénérable quatuor de hard rock torontois, en plein essor après 23 ans de scène et quatre albums studio originaux, se préparait à entrer en studio pour enregistrer Afraid of Heights, son cinquième.
C’est alors que tout a basculé.
À une pénible réunion du groupe, le batteur Aaron Solowoniuk, qui a reçu un diagnostic de sclérose en plaques il y a quinze ans, informe ses amis de longue date – le chanteur Ben Kowalewicz, le guitariste Ian D’Sa et le bassiste Jon Gallant – qu’il doit prendre une période de repos parce qu’il est en train de faire une rechute.
D’Sa n’oubliera jamais cette réunion éprouvante. « C’était autour de septembre l’année dernière, explique-t-il. On avait participé à des festivals d’été et on avait remarqué qu’Aaron présentait des signes de fatigue vers la fin du spectacle. C’était la première fois que ça arrivait. Il avait mal dans le dos et craignait d’être au bord d’une rechute.
« Comme on devait entrer en studio dès l’automne, on a un peu reculé la date. Il a consulté ses médecins et ils ont confirmé qu’il subissait une rechute. On lui a dit qu’on allait attendre qu’il aille mieux pour faire le disque. Il avait déjà appris toutes les chansons à la batterie et on était prêts à enregistrer. Mais sa santé tardait à s’améliorer.
« En répétition, on parle de choses et d’autres pendant les pauses et ça se retrouve souvent dans nos paroles. » – Ian D’Sa, de Billy Talent
« Une couple de mois plus tard, on a eu la réunion la plus décourageante qu’un groupe puisse avoir, avec Aaron qui nous disait essentiellement : ‘Je ne serai pas capable de tenir la batterie sur ce disque, et je veux que vous cessiez d’attendre après moi. Il faut que je me rétablisse, et je pense qu’on devrait trouver quelqu’un d’autre pour l’album et la tournée.’»
Le groupe s’est unanimement entendu sur le batteur d’Alexisonfire, Jordan Hastings, qui faisait des tournées avec Billy Talent depuis plus de dix ans. « C’est un grand ami et il était au courant de la situation d’Aaron, explique D’Sa. Tout s’est arrangé. Il a appris les chansons et il est entré en studio avec nous autres au mois de janvier. »
Pendant que les musiciens enregistraient Afraid of Heights avec Hastings (qui est actuellement en tournée avec eux), Solowoniuk leur faisait souvent le plaisir de venir les voir. « Il était en studio avec nous tous les jours à prendre des photos pour les réseaux sociaux, raconte D’Sa. Il est plus que notre batteur : on est tous inséparables depuis le secondaire. Il fait tellement partie de la chimie du groupe qu’on est contents de l’avoir avec nous autres. »
Lumière au bout du tunnel : la santé de Solowoniuk s’est améliorée au point où les musiciens espèrent qu’il les accompagnera en tournée dès 2017. « Il a fait beaucoup de progrès cet été, explique D’Sa. Il a l’air beaucoup plus en santé et reprend des forces constamment. Il n’est pas encore à la batterie, mais chaque fois qu’on revient de tournée on le trouve en meilleure forme. J’ai bon espoir qu’il reprenne du service avant la fin de l’année. »
Même si les musiciens de Billy Talent sont frustrés par la situation de Solowoniuk, il reste que ce collectif qui a fait ses débuts sous le nom de Pezz en reprenant des chansons de Rage Against the Machine, qui nous a par la suite donné des classiques aussi mémorables que «Try Honesty »,«Devil in A Midnight Mass » et « Rusted from The Rain », qui a vendu plus de cinq millions d’albums et s’est fait connaître dans le monde entier, peut trouver aujourd’hui une certaine consolation dans le succès d’Afraid of Heights, son album le plus abouti.
Sorti en 2012, ce premier album studio complet du groupe depuis Dead Silence(Hits, lancé en 2014, contenait deux nouvelles chansons, « Kingdom of Zod » et « Chasing the Sun »), est également son plus engagé. Ses 12 chansons, notamment « Big Red Gun », « Ghost Ship of Cannibal Rats », « Horses & Chariots » et « Rabbit Down the Hole », renferment des observations réfléchies sur la folie de la violence armée qui sévit chez nos voisins du Sud ainsi que sur la décadence environnementale, les querelles religieuses et la calamité politique qui empoisonne la planète depuis quatre ans.
« Les chansons sont un peu plus politiques que celles de nos albums précédents », explique D’Sa, qui a servi de réalisateur à l’album. « C’est un peu plus protestataire que tout ce qu’on a fait probablement depuis notre deuxième album, et je pense que notre son prend de l’ambleur. On a ajouté beaucoup d’éléments comme des parties de piano et de synthé, des guitares acoustiques et des trucs du genre. C’est important pour notre groupe de continuer à se développer. »
Le thème central d’Afraid of Heights? Un regard sur la compassion humaine. « Je dirais que ça résume bien l’album, confirme D’Sa. On dirait que le grand thème d’Afraid of Heights est une métaphore pour la peur qu’ont les humains de faire les choses correctement, ce qui est étrange : on pourrait s’attendre à ce que, à ce stade-ci, nous soyons capables de prendre les bonnes décisions en tant que société, mais ça va de mal en pis d’une façon vraiment bizarre.
« Qu’on songe au Brexit ou aux appuis obtenus par [le candidat à la présidence américaine] Donald Trump, on voit qu’on n’est pas sur la même longueur d’onde et qu’on ne s’oriente pas dans la bonne direction. Donc c’est de là que vient la métaphore : comme société, nous semblons incapables d’empathie envers les autres… ou de nous mettre à leur place… ou même d’éprouver un sentiment général de compassion pour ceux qui ne sont pas pareils à nous, qui n’ont pas la même orientation sexuelle ou ne sont pas de la même couleur. Ces thèmes reviennent à plusieurs reprises sur le disque. »
Pour mémoire, D’Sa lui-même est à l’origine de ces thèmes. « Je commence par écrire toute la musique et des bouts de paroles – généralement des refrains et choses du genre », explique-t-il en ajoutant qu’il enregistre souvent des démos dans le studio de Billy Talent à Toronto. « Je commence normalement par mettre des mots sur le thème principal ou sur l’idée derrière la chanson, et ensuite Ben et moi terminons les paroles ensemble. Ça commence avec une musique, puis il y a l’étincelle qui fait de la chanson ce qu’elle finira par être. »
D’Sa explique que le thème des futures chansons se décide généralement lors des discussions qui ont lieu pendant les répétitions et que les quatre musiciens ont un lien de confiance mutuelle qui ressort au moment de la création et du développement de ses chansons. « C’est comme ça qu’on découvre nos sujets. Ben et moi connaissons bien les idées du groupe et ce que nous tenons à exprimer collectivement, donc on écrit des paroles dans ce sens, parfois à partir d’une nouvelle idée. Mais ça reflète toujours beaucoup nos conversations sur ce qui se passe dans le monde. En répétition, c’est généralement comme ça qu’on procède : on parle de choses et d’autres pendant les pauses et ça se retrouve souvent dans nos paroles. »
Il y a quand même place pour la légèreté dans les paroles du groupe, notamment dans « Louder Than The DJ », une chanson écrite à la défense du rock and roll et pour rappeler au monde que les groupes rock sont toujours là… « C’est certainement pas une critique des DJ ni de l’EDM », précise D’Sa.
Pendant que le groupe parcourt le monde – il s’est déjà produit cette année à Moscou, au R.-U., dans le circuit des festivals d’été, au Japon et en Australie, et s’apprête à faire les É.-U., le Canada, le R.-U. une fois de plus et l’Allemagne d’ici 2017 – Ian D’Sa se dit fier des progrès créatifs de Billy Talent et emballé par ses perspectives d’avenir.
C’est une question de progrès. « Quand on a commencé en 1993, on se spécialisait dans les chansons de Rage Against The Machine, se rappelle D’Sa. Je n’aurais jamais pensé qu’on pourrait en sortir, avec Ben qui faisait presque du rap et toute cette atmosphère criarde.
« Mais on y est arrivé. Avec le temps, on est devenus un groupe plus mélodique par rapport à nos premières racines punk, et c’est un pas de géant. Le chemin parcouru par le groupe depuis nos tout débuts est incroyable. Être capables d’ajouter des choses comme du synthé à nos chansons sans nous inquiéter de ce que le monde allait penser a été une étape majeure pour nous.
« Et je sais que nous n’avons rien perdu de l’incroyable passion qui nous unit tous les quatre. »