Ça ne s’entend pas aux premiers abords, surtout à l’écoute de Uebok, un titre en russe écouté près de 2 millions de fois sur YouTube, mais Apashe vit et travaille à Montréal. C’est depuis son studio du Mile-End qu’il a composé Renaissance, un album électro orchestral enregistré à Prague avec un ensemble de 65 musiciens.
John De Buck alias Apashe est un cas à part. Né en Belgique de parents francophones qui ont fait le choix de l’inscrire à l’école en néerlandais, le producteur trilingue a suivi une formation en électroacoustique à l’Université Concordia avant que sa carrière n’explose. À ce jour, il a prêté sa musique à des campagnes de Budweiser, Adidas et Samsung. Des franchises comme Marvel et Fast and Furious ont aussi eu recours à ses services.
En entrevue dans les bureaux de Kannibalen Records, le label local qui abrite également Black Tiger Sex Machine, De Buck s’avère en fait l’antithèse de sa proposition sonore, des chutes abruptes qui suivent ses montées en puissance, ses crescendos frénétiques. C’est un gars calme, affable.
La recette de son succès ? Suivre son instinct. « Avec mon équipe, ça s’est toujours passé de manière assez organique. On fait de la musique, on la sort sur internet et puis on voit ce qui se passe. Ça a grossi de manière vraiment naturelle en fait, on n’a jamais trop cherché à pousser ça. C’est juste que là, on arrive à des projets qui sont devenus tellement immenses ! »
Immenses ? Le mot pourrait difficilement être plus juste. Rares sont les membres SOCAN qui verront leurs partitions interprétées par toute une horde d’instrumentistes chevronnés et depuis le Dvořák Hall de Prague. Après avoir séduit la planète dub step et les publicitaires, Apashe s’est qualifié pour une subvention substantielle, sa toute première en carrière.
« Jusqu’ici, j’ai toujours été 100% indé. On avait tellement l’habitude de tout faire tout seuls que là, si on nous donne des moyens, on est comme ‘’yo, let’s go all out!’’. Sans l’aide de Factor, je n’aurais pas eu la chance d’avoir l’orchestre. Je leur dois ça. »
Déjà, on le savait capable de créations réellement épiques et près du monde de l’opéra. Cette fois-ci, cependant, ce n’est pas un concerto de Mozart qu’il remixe. Ce sont ses propres créations. « En grandissant, j’ai écouté beaucoup de musique classique, les grands compositeurs et tout ça. Maintenant, je commence à découvrir les compositeurs plus obscurs, moins connus. J’ai beaucoup écouté de trames sonores de films et, en grande partie, c’est des compositeurs qui sont classically trained et qui travaillent avec des orchestres. Des Daniel Hoffman, des Philip Glass ou même un Hans Zimmer. […] On me dit tout le temps que je fais de la musique cinématographique et quand j’essaie de faire autre chose, je n’y arrive tout simplement pas. »
Depuis longtemps, on lui connaît un goût pour les cordes, mais surtout pour la musique sacrée. Des chœurs inquiétants et trafiqués à toutes les sauces qui ajoutent une dose d’intensité à ses pièces. « Je sais pas exactement d’où ça me vient, c’est vraiment bizarre. C’est juste que j’aime les choses qui sont grandioses et surnaturelles. Comme la bass music ! C’est heavy et très grand, à l’image de la musique classique. C’est pour ça que je veux mélanger les deux. »
Un penchant pour le drame qui ne l’empêche pas de flirter avec le hip-hop et comme lorsqu’il collabore avec Instasamka. Une rencontre improbable en apparence, mais qui n’était pas moins écrite dans le ciel. « Je voulais trouver une Russe pour rapper sur la mélodie de The Little Birch Tree, une chanson folk très connue dans les pays de l’Est. J’ai demandé à mes contacts là-bas et on me l’a recommandée. On m’a dit que c’était plus une humoriste et une influenceuse, mais qu’elle avait dropé un album de feu. J’ai écouté ce qu’elle faisait, j’ai trouvé ça parfait. J’ai écrit à son manager et elle connaissait ma chanson No Twerk parue en 2014. Elle a dit oui tout de suite. En l’espace d’une semaine, tout s’est fait. »
Tourné entre sa participation au Sziget Festival de Budapest et un concert à Nizhny Novgorod, le vidéoclip s’articule autour des grands stéréotypes russes. Balade en char d’assaut, séance de chasse torse nu (façon Vladimir Poutine), rencontre avec un ours… Les images qui accompagnent Uebok permettent à Apashe de verser dans le comique, l’autodérision. Ce n’est pas parce qu’il aspire à l’excellence et au magistral qu’il s’enfle la tête pour autant.