Fougueuse et bienveillante en même temps, Annie Sama crée une musique dystopique à souhait, en phase avec le pessimisme ambiant, cette espèce de période préapocalyptique dans laquelle elle patauge comme tout le monde. Personne n’en ressort vraiment indemne – pas même le président Trump.
Visuellement, ce qu’elle propose s’avère hautement avant-gardiste, plus près de l’art contemporain que de l’esthétique d’une Marie-Mai. Styliste à ses heures et tout aussi charismatique que ces mannequins qui posent pour des annonces de parfums, Annie Sama crée un monde où cohabitent culture de niche et mélodies pop. Tout ça, dans un écrin alliant R&B et sonorités industrielles. Sa musique, c’est un choc thermique.
Au-devant des objectifs, l’autrice-compositrice-interprète exulte la confiance et semble sans peur, ne serait-ce que lorsqu’elle danse, se meut avec agilité et aplomb. En plein contrôle, tirant toutes les ficelles de cette marionnette qu’elle s’est créée à sa propre attention, ce genre d’alter ego spectaculaire, la musicienne aux mille compétences transversales pourrait être l’une des plus intimidantes du répertoire de la SOCAN. Pourtant, au téléphone, sa voix se mielle et ses mots se font doux. Elle est terriblement affable. Vraiment fine, dans les faits et au sens purement québécois du terme. Est-ce que c’est encore un bon moment pour toi ? « Bien sûr. Donne-moi deux petites secondes, je sors d’un taxi et je suis à toi. […] Merci pour l’entrevue. Je l’apprécie tellement. »
Rejointe à New York, sa résidence secondaire, son refuge créatif où elle part régulièrement se ressourcer comme d’autres Montréalais louent des chalets en campagne, Annie Sama aborde l’industrie musicale d’un angle international, non conscrit aux frontières de la Belle Province. Comme Grimes ou Kaytranada avant elle. « Présentement, je te parle de la 8e et de la 23e avenue. Je suis revenue, j’ai des développements à faire et des meetings. C’est sûr que, pour moi, c’est un marché qui est intéressant à plein de niveaux et qui est vraiment riche culturellement. »
Aidée d’une gérance et autres attachés de presse à Montréal, mais pleinement indépendante en ce qui a trait à ses engagements sur le territoire américain, la musicienne jongle entre création et marketing au quotidien. « Je dis pas que j’ai pas d’aide, sauf que officiellement, je n’ai personne qui travaille sur mon dossier aux États-Unis. Mais je te dis pas qu’il n’y en aura pas éventuellement… Suffit seulement de trouver les bonnes personnes qui vont me donner des ailes. » Avis aux intéressé(e)s…
Artistiquement, Annie Sama tire sa force de celles et ceux qui croisent sa route. « Oui, j’ai une approche DIY, mais je ne travaille jamais toute seule. Pour moi, le travail d’équipe c’est vraiment important. »
Peu après avoir largué son sobriquet APigeon, celui sous lequel elle se produisait jusqu’en 2016, on l’a entendue auprès du duo électro Beat Market sur Atlantis, un brûlot langoureux aux claviers 80s, littéralement la jonction de leurs deux univers. En 2018 et avec Now Wow We, un titre cosigné avec Anachnid, Annie Sama s’est aventurée en terrain politique, probablement miné d’ailleurs, pour aborder la crise des migrants, dénoncer le sort qu’on réserve aux enfants (mis en cage) à la frontière séparant le Mexique des États-Unis. Un brûlant manifeste qui frappe précisément là où ça fait mal.
Fin 2019, c’est avec le producteur belge Løyd qu’elle s’est associée pour pondre le texte de Cyborg, une piste aux effluves dubstep qui évoque la solitude post-moderne et les robots sexuels qui risquent fort bien de pousser les fabriquant de poupées gonflables vers la faillite. « Il m’a demandé de faire quelque chose dans l’esprit de Black Mirror. Il m’a envoyé la track et j’avais plein d’idées. Ça a vraiment créé un univers en soi et c’est un personnage qui, maintenant, m’habite et qui va revenir, je pense, au travers de mes albums, dans différentes chansons. »
Même si le futur s’annonce noir, globalement parlant, les mois à venir pourraient se voiler d’un filtre rose pour cette artiste réellement inclassable et au potentiel monstre qui a déjà attiré l’attention de Vogue US. « J’ai des surprises pour vous autres, je ne peux pas en parler, parce que je n’ai pas de date encore. Je me donne quand même du temps parce que les prochains trucs que je vais droper, ça va venir avec un spectacle, ça va venir avec le prochain step. »