De rockeuse au cœur écorché à réalisatrice et compositrice de musique de film, la musicienne et femme d’affaires nourrit sa passion pour le court, le moyen et long métrage.

Anik Jean« Sois-sage, mon amour », sont les mots lancés par le personnage joué par Anik Jean à Nathan, son fils de six ans et demi en quittant pour la soirée en compagnie de son mari (joué par Jean-Nicolas Verrault). La gardienne, bête comme ses pieds, passera un mauvais quart d’heure gracieuseté du gentil petit monstre… Voilà en gros, le scénario du court métrage de douze minutes, Sois sage, qu’elle a récemment réalisé et présenté au Festival Fantasia dans le cadre des Fantastiques Week-ends du cinéma québécois. Produit par sa boîte de production, Nathan Films, qu’elle codirige avec Milaine Gamache. Elle est également partenaire avec son chum Patrick Huard dans Jesse Films, qui s’attarde aux longs métrages et à la télé.

« Je produis de la télé et du cinéma, je suis dans un boum de créativité, c’est hallucinant. Je joue au ping-pong avec mes projets. Et je veux prouver au monde du cinéma que je ne suis pas un imposteur ».

Anik Jean s’est aussi révélée avec Bon Cop Bad Cop 2. « Patrick me voulait. Trouvez-vous un plan B que je lui aie dit, mais dans sa tête de cochon, c’était moi. Il y a quand même 72 cues de musique pour une durée de 85 min de film, c’est une grosse charge. Par exemple, faire accélérer en musique des voitures qui ne vont pas assez vite. J’y ai mis beaucoup d’instruments à percussion pour susciter l’effet de vitesse. Parfois, on a besoin de douze secondes de musique, d’autres fois 47 secondes. Tout dépend de la scène. Dans Bon Cop 2, on sait qu’il y a de la musique, mais on ne l’entend pas ».

« J’aime être en studio, le processus est trippant, le travail de gang entre autres avec le réalisateur et le monteur, la communication est continuelle. Mais le plus difficile, c’est de plonger. Pour un film comme Bon Cop Bad Cop 2, je travaille avec des logiciels d’effets sonores digitaux qui reproduisent des bruits d’explosion ou de vrombissements, mais pour Sois sage, c’est moi au piano et Catherine Ledoux au violon. Y a des moments creepy que seuls deux instruments peuvent illustrer. J’étais dans mon élément parce que j’aime l’horreur, mais c’est important de bien calibrer la musique sinon ça va scrapper le film ».

Sois sage est le troisième film où elle appose aussi sa musique. En février dernier, elle présentait La Porte en ouverture des Rendez-Vous Québec Cinéma, un court métrage de 15 minutes dans lequel Huard tient le rôle d’un peintre agoraphobe. Puis en 2016, son film de 62 minutes Lost Soul, sans dialogues et purement musical lançait sa filmographie. L’artiste travaille présentement à l’écriture de deux longs métrages, dont un avec le maestro de l’horreur Patrick Sénécal comme conseiller à la scénarisation, et à la musique d’une série télé très connue dont elle ne peut en dévoiler l’identité pour l’instant.

« Martin Léon m’a aidé pour Bon Cop 2, toutes les fois que je freakais, je l’appelais, j’ai besoin de me faire sécuriser. Et Antoine Gratton a aussi été un allié indispensable. Je recevais des scènes montées du film pour m’inspirer et une fois visionnées, je lui chantais au téléphone des mélodies qu’il transcrivait sur des partitions musicales. Il a ajouté huit violons, quatre cuivres sur certains passages, c’est génial travailler avec lui. Autant que le guitariste Guillaume Doiron, un ami d’enfance, qui a tout un arsenal de pédales qu’il utilise savamment ».

Délaisse-t-elle pour autant sa carrière d’auteure-compositrice qui a pris son envol en 2005 avec un premier disque, Le Trashy Saloon, réalisé par Jean Leloup (Juno de l’album francophone). Et propulsée par sa présence en première partie des Rolling Stones au mois de janvier 2006 ? Ses Gibson Firebird et Télécaster Ron Wood Signature (elle possède 19 guitares) autographiées par Keith Richards et Ronnie Wood? Puis, sa ‘’Révélation de l’année’’ au Gala de l’ADISQ ?

« J’étais tannée de faire un album, une tournée, un album, une tournée. Mais là, j’ai commencé à écrire mon prochain disque. Et tu sais quoi ? Je suis allé au lancement du dernier disque de Jean Leloup c’est là que j’ai eu le gout de refaire un album. J’ai un concept dans ma tête de mix entre best of et collaborer avec des auteurs-compositeurs qui m’ont inspiré à faire de la musique. Je les ai appelés et ils ont accepté de se joindre à mon aventure pour mon prochain album. Alors on coécrira eux et moi quelques nouvelles chansons. »



« Chantons ensemble », c’est l’invitation, en langue atikamekw, que lance depuis maintenant trois ans l’événement Nikamotan MTL. Présenté dans le cadre du festival Présence Autochtone, cette nouvelle édition (baptisée nicto, qui signifie « trois », en Atikamekw) demeure fidèle à sa mission de créer des ponts entre les cultures, en mettant de l’avant les artistes autochtones d’ici et d’ailleurs.

NikamotanNikamotan MTL, c’est la grande vitrine de l’organisme Musique Nomade, fondé en 2006 par la cinéaste Manon Barbeau sur le même modèle que son fameux Wapikoni Mobile. Ce studio ambulant s’est donné pour but d’amener le cinéma et la création audiovisuelle en général dans les communautés et Musique Nomade fait exactement la même chose pour la musique. Son studio mobile apporte dans les communautés autochtones de l’équipement et des ressources afin de créer des enregistrements de qualité professionnelle, mais il contribue surtout à créer un véritable réseau d’artistes autochtones émergents.

« On a trois mandats principaux : d’abord et avant tout, nous travaillons à promouvoir les artistes émergents issus des communautés autochtones », explique la directrice artistique Joëlle Robillard, qui assure aussi la direction artistique du spectacle Nikamotan MTL. « Il y a aussi un rôle de préservation, en constituant une espèce de mémoire numérique, histoire de garder vivante une culture qui s’est longtemps transmise de façon orale. Finalement, on fait un travail de représentativité dans les festivals; qui est une autre façon de promouvoir le talent, tant ici qu’à l’étranger. »

Le travail de réseautage se fait tant à l’échelle de la province et du reste du Canada qu’à l’étranger, dans les grandes rencontres de musiques folk du monde entier. C’est en fréquentant des événements comme le Womex ou le Folk Alliance que Joëlle a rencontré le groupe finlandais Vildá, duo féminin qui porte fièrement le flambeau de la culture Sami, un peuple autochtone de Laponie. Vildá sera sur scène à l’occasion de Nikamotan MTL. « C’est toujours un stress de monter un événement avec autant de pièces différentes, surtout qu’on met en collaboration des artistes qui parfois ne se connaissent pas, mais ça donne lieu à des rencontres magiques. Parfois ce sont les artistes qui influencent la programmation: lorsque j’ai contacté Lido Pimienta (récipiendaire du Prix Polaris en 2017) et que je lui ai demandé avec qui elle voulait travailler, elle a tout de suite suggéré de collaborer avec Pierre Kwenders. » Une rencontre entre l’Afrique et l’Amérique latine dans un festival dominé par les cultures autochtones d’ici, voilà une belle illustration de l’éclectisme que promeut Musique Nomade.

Grâce à son implication dans l’organisme, Joëlle Robillard est bien placée pour témoigner de la vigueur de cette fameuse « Renaissance autochtone », comme l’a baptisée Jeremy Dutcher, artiste de la nation Wolastoqiyik et gagnant du Prix Polaris en 2018. Et si l’abondance de talent ne fait aucun doute, elle remarque aussi que le public est de plus en plus avide de découvertes. « La musique et les arts, c’est un puissant outil de réappropriation culturelle pour les peuples autochtones. Il y a tellement de voix uniques qui émergent, mais il faut savoir y tendre l’oreille. Et je ne parle pas que du public : c’est toute l’industrie de la musique, qui a souvent exclu les artistes autochtones, qui doit se déconstruire pour recommencer sur des bases plus inclusives. »

On ne peut toutefois nier que les choses changent pour le mieux. Signe des temps, l’ADISQ remettra d’ailleurs pour la première fois cette année un Félix à l’artiste autochtone de l’année lors du prochain gala, une initiative que salue Joëlle Robillard. « Je pense que l’ADISQ a bien fait son travail en contactant les représentants des communautés et des organismes comme le nôtre. Ils ont aussi fait des aménagements à leurs critères de sélection pour faciliter l’accession des artistes des communautés autochtones », dit-elle.

Tout au long de la conversation, Joëlle répétera qu’elle souhaite ardemment que le regain d’intérêt envers les productions artistiques des Premières Nations, des Métis et des Inuits soit plus qu’un simple effet de mode « Quand on constate tout le talent qui se trouve dans les différentes communautés, il y a de quoi être optimiste. La première étape de notre travail consiste à faire tomber des murs; mais il faut aller plus loin et construire des assises solides pour permettre à cette culture de grandir. »

Le 9 août, Sur la Place des festivals

Trois artistes à découvrir lors de Nikamotan – MTL

Matt ComeauMatt Comeau
« On l’a découvert lors de nos passages dans les maritimes et c’est l’une des personnes les plus lumineuses et attachantes qui soient », explique Joëlle Robillard. Issu de la nation Mi’gmaq, le chanteur et guitariste du Nouveau-Brunswick Matt Comeau apparaît sur le EP All my People, créé lors d’un atelier organisé par Musique Nomade au Parc historique de Metepenagiag en 2017. « Il a une voix vraiment chaude et c’est un super guitariste qui fait une chanson pop fortement teintée de blues », précise Joëlle.

 

Soleil LauniereSoleil Launière
Cette artiste multidisciplinaire innue, originaire de Mashteuiatsh, est surtout « multitalentueuse », comme le dit Joëlle Robillard. Présentement artiste autochtone en résidence à l’École Nationale de Théâtre, Soleil Launière accumule les projets : elle chante dans le groupe Auen, travaille en théâtre et surtout en performance. « Ses performances de mouvement sont très marquées par la culture et la mythologie innue, notamment avec son évocation des créatures mi-hommes mi-bêtes qu’on peut d’ailleurs voir sur notre affiche. »

 

Quantum TangleQuantum Tangle
Originaires de Yellowknife, au Territoires du Nord-Ouest, le trio Quantum Tangle a remporté le Prix Juno du meilleur album autochtone en 2017 avec Shelter As We Go. « Ça faisait longtemps que je voulais les programmer, car j’aime beaucoup leur fusion de tradition et de modernité et leur son très cinématographique », explique Joëlle Robillard. « Ils utilisent les chants de gorge, habituellement chantés a capella par deux femmes, dans un contexte complètement différent. On leur a proposé de préparer quelque chose avec Lydia Képinski et et ils ont tout de suite embarqué. »



Le 16 juillet dernier, l’organisation du Prix de musique Polaris dévoilait la liste des dix albums candidats au titre du meilleur album canadien de l’année, titre qui sera décerné le 14 septembre prochain à Toronto. Du lot, une grande surprise : la nomination de Le Mal, premier album du quartet FET.NAT, qui suivait six mini-albums parus durant la décennie. « On ne s’attendait pas du tout à ça, même apprendre qu’on faisait la longue liste était étonnant pour nous », admet le multi-instrumentiste Olivier Fairfield.

« En fait, on n’a jamais vraiment opéré avec cet objectif-là, poursuit le musicien. Ça fait presque dix ans qu’on fait des disques, qu’on donne des concerts, on a notre « fan base », tout fonctionne très bien, mais il semble que depuis la sortie du dernier c’est… c’est comme si la réalité qui entoure la façon dont on fait les choses avait changé. Tout d’un coup, les gens sont fascinés [par notre travail], et pas juste les fans, pas seulement ceux qui aiment un type de musique précis. Tout est devenu plus gros et ça, on ne s’y attendait pas du tout. »

C’est que le groupe basé à Hull a toujours fait cette musique pour lui d’abord et à sa manière, sans chercher à entrer dans le moule, pour reprendre l’expression qui repousse les apôtres du « do it yourself », ce que sont les quatre gars de FET.NAT – tous musiciens autodidactes, Pierre-Luc Clément aux guitares, Linsey Wellman au saxophone, JFNO (Jean-François Nault) aux textes et au chant et Fairfield, à la batterie et aux synthés sur scène, aux commandes du navire en studio.

Leur son est un défi à décrire, ce qui constitue déjà une bonne raison de s’empresser d’écouter Le Mal. Une attitude et une énergie punk plaquée sur d’intrigants collages sonores, jeux de textures et rythmiques électroniques desquels éructe un jet de free jazz, l’improvisation faisant partie intégrante de leur démarche. « À toutes les fois qu’on se fixe un but concret, qu’on se dit : On devrait explorer cette esthétique-là, cette direction musicale, c’est un échec total », rigole Olivier pour ajouter au flou de leur approche. « Ce qui finit par se passer en studio, c’est qu’on ramasse des bouts d’idées, généralement improbables, et on les suit. Et ça finit par donner des résultats intéressants. »

« Donc, tenter de circonscrire notre style ou le genre de méthode qu’on emploie est un peu difficile », enchaîne Olivier qui, hors de FET.NAT, travaille comme réalisateur (pour Medhi Cayenne Club, entre autres) et accompagnateur (pour Leif Vollebeck). « Ce qu’on peut dire par contre, c’est qu’on est ouvert à tout, même les styles qui font rire, c’est ça qui est le fun. Les idées très mauvaises, drôles ou farfelues qu’on trouve peuvent devenir sérieuses assez vite. » Abonnés au Festival international de musique actuelle de Victoriaville et au Suoni per il Popolo, FET.NAT fait des disques épris de liberté et d’expérimentation que l’on ne devrait normalement pas retrouver sur la même courte liste que le dernier disque de Jessie Reyes, pour ainsi dire.

Ainsi, le travail de composition se fait avec le même instinct, la même propension à aller où le groupe ne s’était encore rendu. Tout le monde met la main à la pâte, mais JFNO se charge avant tout des textes, « mais les autres aussi contribuent.  Par exemple, une de ses façons d’écrire les textes : il a ouvert un Google Doc privé où il met ce qu’il écrit pour qu’on s’en serve. Or, j’allais puiser dans ces textes que je passais dans un outil de synthèse vocale [text-to-speech, qui génère une lecture audio du texte]. Après, je pouvais changer la vitesse du débit, le registre de la voix de l’ordinateur, ces choses-là. En mettant cet outil dans le processus de création, ça générait de nouvelles idées », certaines voix synthétiques ayant été gardées sur l’album, ou bien JF réinterprétait le texte à la manière de la synthèse vocale.

La nomination sur la courte liste du Polaris bouleverse FET.NAT jusque dans ses racines. Dès ses débuts, les Outaouais s’identifient au mouvement Rock in Opposition du groupe rock avant-gardiste/expérimental et militant anti-capitaliste britannique Henry Cow de Fred Frith, mouvement créé à la fin des années ‘70 pour manifester contre l’industrie musicale qui levaient le nez sur leur musique faite sans compromis.

« Dès le début de FET.NAT, on fait les choses pour nous-même, mais aussi on autoproduit tout ce qu’on fait. Des subventions, on n’en a jamais demandé – tout est produit par nous, de l’enregistrement jusqu’à l’impression des disques, c’est entre autres pour cette raison qu’on est étonnés d’avoir été considérés pour le prix Polaris. Cela dit, notre filiation avec Rock in Opposition n’est pas par mépris pour tout ce qui est différent de ce qu’on fait. C’est simplement qu’on a toujours tenu à faire les choses à notre manière. C’est dans la nature du groupe, dans la nature surtout de l’ensemble des personnalités des membres du groupe… pour le meilleur et pour le pire! »

« Le Polaris, ça nous place donc dans une drôle de situation. En fait, ça nous force à nous regarder en nous disant : on fait quoi, on est quoi là-dedans? Est-ce qu’on est encore « rock in opposition »? On vit une petite crise d’identité – qu’on prend à la légère quand même… »