Alejandra Ribera« Je veux que ma musique défie les modes et les époques. » Louable mission, que s’est donnée l’auteure, compositrice et chanteuse Alejandra Ribera lorsqu’est venu le temps de concevoir son troisième album. This Island est le grand voyage intérieur que s’est offert la Torontoise de souche et Montréalaise d’adoption, née d’un père argentin et d’une mère écossaise.

« J’aime explorer les profondeurs du cœur humain et en extraire une poésie optimiste. J’ai été porté par un discours de l’actrice Tilda Swinton sur le sujet et par une étude sur le mouvement ; il existe un potentiel infini entre la suspension et la libération », explique-t-elle.

Si tout cela semble un peu abstrait, pour Ribera, tout est limpide. Ses dix nouvelles chansons constituent un recueil conséquent à celles de La boca, réalisé par Jean Massicotte (Leloup, Arthur H) en 2014, et sur lequel elle signe I Want, qui lui a permises de remporter le SOCAN Songwriting Prize en 2014. Le premier EP, Navigator, Navigather paru en 2011, creusait déjà ce sillon d’humanité qui impose un constat : les mailles de son imaginaire fertile sont solidement tissées.

« J’ai passé trois semaines à Paris en janvier 2015 pour me ressourcer. J’habitais dans le onzième. Je ne comprenais pas ce que les gens disaient autour de moi et j’ai vite eu le mal du pays, confie-t-elle dans un français plus qu’acceptable. Je me sentais toute seule sur mon île, d’où le titre de l’album. Et pour me réconforter, je me suis mise à écrire (les textes de l’album) en imaginant des univers parallèles où les gens viendraient me parler. Puis l’attentat de Charlie Hebdo s’est produit : pendant trois jours, j’entendais le bruit assourdissant des sirènes des véhicules qui passaient près de ma fenêtre… »

Inspirée par le titre du roman (Orlando, 1928) de l’écrivaine Virginia Woolf, elle baptise la dixième et dernière chanson de l’album, Orlando. Sur cette pièce, Ribera puise dans les hauts registres, son tissu vocal nous agrippe l’âme et nous transperce l’épiderme.

« Je l’ai chantée pour la première fois à mes musiciens lors d’une balance de son lorsque nous étions en tournée canadienne avec Ron Sexsmith. On l’a fignolé en 45 minutes et joué le soir même devant public. Ironie du sort, c’est lors du mix final de l’enregistrement de la chanson en juin 2016 que la fusillade d’Orlando s’est produite. C’est un truc mystérieux et bizarre ! »

Il y a un beau trésor enfoui sur This Island. Le butin est fabuleux. On savoure le grain de voix de la chanteuse sur Undeclared War et l’on jurerait entendre la Britannique Beth Orton, tout en douceur et en sensualité. Led Me To You baigne dans une oasis americana qui plairait à Sexsmith. Will Not Drown est saupoudré de trompette, de passages chantés en espagnol et de clappes des mains. C’est ingénieux et plein d’astuces : le folk, la ballade langoureuse, les airs lumineux, tout s’imbrique en un seul univers unique, singulier et brillamment réalisé. Ça s’écoute de bout en bout avec cette nette impression, comme le voulait la principale intéressée, que This Island est intemporel.

« Je voulais éviter les méthodes d’enregistrement actuelles, admet-elle. Et surtout, je me suis vite aperçue que jouer les chansons du disque précédent dans un cadre plus intimiste soir après soir apportait un élément qui manquait : l’osmose entre les musiciens, jouer en temps réel. Il était alors clair dans ma tête que mon prochain disque allait être enregistré en studio comme si nous faisions un spectacle. »

Sept musiciens y ont participé dans une maison de la campagne ontarienne. « On est allé à l’essentiel, je voulais qu’on se donne beaucoup d’espace. On a passé quelques semaines dans cette maison à créer, en formation réduite, les ébauches musicales. Ensuite, nous avons envoyé cette matière brute à Bryden Baird (Feist) qui a rajouté des couleurs sonores ponctuées d’instruments joués avec parcimonie comme la trompette et la percussion.

Jean-Sébastien Williams et son comparse montréalais Cédric Dind-Lavoie, ses deux fidèles compagnons de route, ont peaufiné les arrangements, et Trina Shoemaker (Sheryl Crow) s’est chargée, quant à elle, du mix final.

Le très beau vidéo du « making of » de This Island apparaît sur la page d’accueil de son site alejandraribera.com. On est tout de suite situé, le cadre rural, la maison, on a envie d’être là. Belle entrée en matière pour savourer la suite.



Lorsque Rose Cousins était universitaire, à Halifax, elle avait l’habitude de se rendre à la cafeteria de sa résidence pour y jouer du piano, mais seulement lorsque personne n’y était. « Il était hors de question pour moi de jouer devant des gens », se souvient-elle. Et ce, malgré le fait qu’elle apprenait alors la guitare et avait commencé à jouer de manière informelle devant quelques personnes, son temps au piano était son moment à elle.

Ce n’est en effet qu’à partir de son deuxième album, The Send Off, paru en 2009 et réalisé par Luke Doucet de Whitehorse, que Rose Cousins — reconnue pour sa voix pleine de soul et ses textes très émotifs — a osé inclure son jeu au piano sur quelques pièces tristes.

Il semble donc couler de source, en quelque sorte, que son quatrième et plus récent album – Natural Conclusion, un opus qu’elle décrit comme « la chose la plus honnête et la plus vulnérable » qu’elle ait produite – la voit jouer du piano plus que jamais auparavant. « Je suis très excitée », avoue-t-elle d’emblée. « Le piano est le premier instrument que j’ai appris, c’est donc comme boucler la boucle pour moi. »

Il n’y a toutefois pas que le fait de jouer du piano qui lui donne l’impression d’être à nu. Avec ce nouvel album, Cousins, qui est née et a grandi à l’Île-du-Prince-Édouard, aime aller au-delà de ses propres limites, y inclus son approche créative et sa production.

« La co-écriture me terrifiait, mais je voulais affronter ma peur. »

« Je tentais de porter attention aux manifestations physiques de mon surmenage », dit-elle en repensant à cette période. « J’ai travaillé sans arrêt pendant toute l’année 2013, et j’étais constamment en tournée. Ce n’est qu’à mon retour d’une importante tournée australienne, début 2014, que je me suis sentie comme un véritable détritus. »

Pour la première fois de sa carrière, Cousins a dû annuler certains spectacles et, peu de temps après, elle a glissé sur une plaque de glace et s’est cassé un bras, la forçant ainsi au repos. « Ça prend huit semaines pour guérir un membre cassé », explique-t-elle. « Exactement huit semaines après avoir cassé mon bras, j’avais un spectacle de prévu. »

Mais plutôt que de se lancer dans un nouveau et épuisant cycle de tournée et d’enregistrement, Cousins a plutôt pris un peu de recul et s’est accordé un peu d’espace pour s’amuser en studio et faire un voyage à Boston, où elle a de nombreux contacts musicaux. Après avoir lancé un EP en septembre 2014, elle a senti qu’elle était prête pour son prochain défi : la co-création.

« La co-écriture me terrifiait, mais je voulais affronter ma peur », dit-elle avant de poursuivre en expliquant que l’idée d’écrire des chansons qui seraient interprétées par d’autres l’attirait, tout comme la création de musique pour le cinéma et la télé. « J’ai envie d’avoir un supplément de revenu grâce à des musiques qui peuvent travailler pour moi pendant que je travaille sur autre chose. »

Pour elle, c’était également une occasion de changer de rythme, d’échanger la cadence effrénée des tournées pour une chance de collaborer de manière un peu plus approfondie avec certaines personnes dans différentes villes. Ainsi, à l’automne 2014, elle s’est retrouvée à Nashville, avant de faire des arrêts créatifs à Los Angeles, Toronto, en Irlande et à Boston pendant l’année qui a suivie, en profitant pour établir de nouvelles relations et explorer de nouvelles approches de création.

« J’ai beaucoup aimé sortir des limites de mon genre musical, peu importe comment on le définit, pour m’amuser avec des pièces très pop, sombres ou même dance », dit-elle en riant. « Vraiment, on s’en fout. C’était génial de déployer mes ailes et de ne pas avoir à m’inquiéter de savoir si Rose Cousins allait pouvoir chanter ça sur scène. »

Bien qu’elle se décrive elle-même comme quelqu’un d’introverti qui déteste les banalités, elle avoue d’emblée qu’elle a adoré les conversations très personnelles qu’elle avait parfois avec des gens qu’elle venait à peine de rencontrer pour travailler. « Ma plus grande crainte était de perdre ma façon d’écrire, mais maintenant je sais qu’il n’y a rien à craindre. »

Quelques-unes des cocréations nées de cette époque se sont retrouvées sur Natural Conclusions, réalisé par Joe Henry, le réputé producteur maintes fois primé aux Grammys. L’album met également en vedette une impressionnante liste d’artistes invités, dont le pianiste Aaron Davis et le guitariste Gord Tough, de Toronto, l’Haligonienne Asa Brosius à la guitare pedal/lap steel, le bassiste bostonnais Zachariah Hickman, Kinley Dowling du groupe Hey Rosetta ! aux cordes, ainsi que Jill Barber, Caroline Brooks (The Good Lovelies) et Miranda Mullholland (Great Lake Swimmers) aux chœurs. Tant le quotidien britannique The Guardian que CBC Music ont mentionné que ce serait un album à surveiller en 2017.

Rose Cousins

Qui plus est, Rose Cousins, qui a l’habitude de monter seule sur scène, est ravie de pouvoir compter sur la présence d’un groupe derrière elle durant la tournée qui accompagnera ce nouvel album. Sa tournée 2017 aux États-Unis et au Canada s’étalera de la mi-février à la mi-avril avant de se conclure chez elle, au Confederation Centre de Charlottetown.

« J’ai hâte de jouer avec eux et de vivre l’expérience de monter sur scène en groupe, un truc que je n’ai pas eu la chance de faire pour la majeure partie de ma carrière », dit-elle visiblement réjouie. « C’est une nouvelle étape pour moi, tout comme l’écriture et l’enregistrement de cet album ont représenté une évolution pour moi. »

Tandis qu’elle pose un regard sur l’avenir, sur ce qu’elle a appris et sur ce qu’elle espère accomplir, Rose Cousins, qui est également photographe, sait maintenant que d’accorder du temps à sa créativité, plutôt que tenter de forcer celle-ci lorsqu’elle a un temps libre entre deux spectacles, sera désormais crucial. « Je me sens mieux en tant que personne lorsque je peux créer plus souvent », dit-elle en toute simplicité. Quoi qu’il en soit, elle mettra avant tout l’accent sur l’exploration de nouveaux horizons, musicaux et autres, en plus de trouver de nouveaux moyens de soutenir d’autres artistes.

« Je cherche une façon de faire une différence dans ce monde », affirme l’artiste. « Et même si je sais que la musique a cet effet et touche les gens, fait une différence, je me demande souvent si je peux avoir un impact ailleurs. »

En attendant, ouvrez l’œil lorsque vous voyez un piano…



Claire Lynch a orienté sa boussole personnelle et artistique vers le nord, et le résultat en est bénéfique pour plusieurs membres de la SOCAN.

L’acclamée auteure-compositrice-interprète américaine blugrass/roots vient d’être mise en nomination aux Grammys 2017 dans la catégorie Album bluegrass de l’année pour son dixième et plus récent album, North by South. Lynch a été mise en nomination dans cette même catégorie à deux reprises auparavant, en 1996 et 1998, et elle a été couronnée Meilleure chanteuse à trois reprises par l’International Bluegrass Music Association.

Comme son titre le laisse deviner, North by South est une compilation de ses reprises de pièces écrites par des membres de la SOCAN qui a été accueillie avec enthousiasme, comme en témoigne sa nomination aux Grammys.

Parmi les membres de la SOCAN dont une œuvre a été reprise sur North by South, on retrouve notamment Gordon Lightfoot, David Francey, Ron Sexsmith, Bruce Cockburn, le regretté Willie P. Bennett, Cris Cuddy, Old Man Luedecke, Lynn Miles, et J.P. Cormier.

Comme elle l’explique, le concept de l’album prend ses racines dans un espace très personnel. « Je suis tombée amoureuse d’un Canadien il y a six ans et nous nous sommes mariés il y a deux ans. C’est un avide mélomane et il collectionne les instruments de musique et, au fil du temps, il m’a fait découvrir le monde de la musique canadienne. Je me suis particulièrement intéressé à l’écriture, puisque je suis moi-même auteure, et plus ça allait, plus je me disais “Wow, quelles magnifiques chansons”. J’ai vite découvert à quel point les Américains ignorent tout sur ce qui se passe ici, sur le plan artistique. »

« Après avoir été exposée à la musique canadienne, j’ai réalisé que c’était une véritable mine d’or et que ce serait vraiment cool de la partager avec le peuple américain. »

« Après avoir été exposée à la musique canadienne, j’ai réalisé que c’était une véritable mine d’or et que ce serait vraiment cool de la partager avec les gens que je côtoie dans les communautés bluegrass et Americana aux États-Unis. C’est pour cette raison que j’ai créé North by South. »

L’album a été réalisé par Alison Brown et met en vedette des musiciens américains émérites tels que Bela Fleck, Stuart Duncan et Jerry Douglas. Le fait d’entendre leurs chansons interprétées par des musiciens d’un tel calibre et chantées par une voix aussi unique a ravi les auteurs-compositeurs canadiens qui ont vu une de leurs chansons ainsi reprises.

« J’ai toujours dit que quand je serais grande, je serais une chanteuse bluegrass, mais ça, c’est encore mieux ! » a lancé Lynn Miles. « J’ai pleuré lorsque j’ai entendu la version de Claire de ma chanson ‘‘Black Flowers.’’ Je l’adore. Il va y avoir une vidéo participative pour cette chanson, j’ai vraiment très hâte de voir le résultat. »

Même son de cloche du côté de Ron Sexsmith qui a adoré la version de sa chanson « Cold Hearted Wind » proposée par Lynch. « J’ai adoré ! » dit-il. « J’étais d’abord surpris qu’elle choisisse celle-là. C’est une chanson très personnelle, je ne pensais jamais que quiconque la reprendrait. J’étais vraiment honoré d’être inclus. »

Claire Lynch

Brad Machry et le gestionnaire des redevances et des licences chez True North Records, le label et la maison d’édition (par le biais de Mummy Dust Music) de Lynn Miles et Old Man Luedecke. Comme il nous l’explique, « Chris [Old Man] Luedecke était particulièrement ravi de savoir qu’un artiste qu’il vénère depuis toujours, Bela Fleck, allait jouer le banjo sur sa chanson ‘‘Kingdom Come’’. »

Dès qu’il a eu vent du projet, Machry a compris les bénéfices potentiels pour les artistes de son écurie. « Nous sommes membres de la Canadian Musical Reproduction Rights Agency (CMRRA) et de la Harry Fox Agency (HFA), aux États-Unis, pour les droits de reproduction mécaniques, il aurait donc été facile de ne pas trop nous en soucier. Mais j’ai communiqué avec LeAnn Bennett, c’est Compass Records (l’étiquette de Lynch), et nous avons plutôt décidé de procéder par licence directe et de collaborer sur les placements à la télé et au cinéma. »

« Claire nous a rendu un fier service en couvrant non seulement nos œuvres publiées par Lynn et Chris, mais également nos amis Ron Sexsmith, Gordon Lightfoot, David Francey et Bruce Cockburn. Si ce projet ouvre l’esprit de nos voisins du sud et leur donne envie d’explorer ce que le Canada a à offrir, tout le monde en ressort gagnant. Elle a su réunir certains des meilleurs conteurs au pays d’une manière très canadienne, humble et sans prétention, afin de mettre les auteurs-compositeurs en valeur. »

Lynch explique, quant à elle, que l’issue positive de cet album mettant en vedette des auteurs-compositeurs canadiens « était son intention. Je dis aux communautés dont je fais partie, “Écoutez ces artistes. Je me porte garante d’eux.” J’ai reçu des textos d’amis qui me disaient “j’ai été sur le site Web de Old Man Luedecke pour commander son album”. »

Lynch n’est pourtant pas paresseuse au chapitre de la création de chansons, dont certaines ont été reprises par des artistes tels que Patty Loveless, Kathy Mattea et The Whites. « Je n’ai jamais eu de gros succès, mais bon nombre d’artistes de la scène bluegrass ont repris mes chansons », explique-t-elle. « La majorité de mon catalogue, c’est moi qui l’ai interprété. »

Lynch et son mari partagent leur temps entre peurs résidences de Toronto et de Nashville et Lynch a fait une demande pour le statut de résidante permanente au Canada. Il a désormais un agent de tournée canadien, Bob Jensen, de l’Île-du-Prince Édouard, et les 200 spectacles qu’elle a donnés en 2016 incluaient 2 tournées canadiennes. « J’en ai deux autres prévues cette année, une dans l’ouest et l’autre en Onatrio et au Québec en novembre », confie-t-elle.

Lynch a également exploré les scènes acoustiques de Toronto et de Guelph, en plus de participer à des « jam-sessions » et des cercles de création. « Tout le monde et si gentil avec moi, et j’ai déjà tissé de nouvelles amitiés », lance-t-elle, ravie.