Personne n’avait encore eu l’idée du concept « à l’épreuve des pandémies » quand Adam Kershen a décidé de rénover le sous-sol de sa nouvelle maison pour en faire un studio professionnel. Après pratiquement une décennie sur la route en tant que DJ Adam K, artiste de renommée internationale qui écrit, mixe et joue sa propre musique, Kershen « en a eu assez », comme il l’explique.

« Quand j’ai arrêté de donner des spectacles, mes revenus sont passés de minuit à 18 h », confie-t-il. « Quand j’ai acheté cette maison, je devais aussi décider si je louerais une unité commerciale pour y travailler. Financièrement, c’était bien plus sensé de transformer le sous-sol en studio. » Cette décision vaudra de l’or une décennie plus tard.

Ce sous-sol de North York est devenu Hotbox Digital Music et, au cours des années qui ont suivies l’entreprise est devenue l’une des plus grosses boîtes de production musicale de Toronto, non seulement pour la musique dance (sa spécialité), mais aussi pour la pop, le hip-hop, et la publicité en plus de signer un contrat mondial avec Ultra Music Publishing, une maison d’édition membre de la SOCAN.

Kershen connaîtra un succès de grande envergure aux côtés de son partenaire Drew North, connu sous le nom de Andrew Polychronopoulos, un membre du groupe EDM Paranoid qui enregistrait au Hotbox quand ils ont fait connaissance. En tant que duo, ils ont collaboré avec un grand nombre de stars des clubs comme Tiesto, Steve Aoki et deadmau5 et des vedettes plus grand public comme U2 et même le géant du basketball, Shaquille O’Neal. Leurs plus récents « hits » incluaient deux disques d’or au Canada — « Swear to God » de Famba et « Heartbreak Back » de Frank Walker — et un autre certifié diamant au Brésil — « Pour Over » de Vintage Culture & Adam K.

Kershen a décidé de faire appel au talent des ingénieurs de Pilchner Schoustal International pour créer son espace idéal. « Quand ils concevaient le studio, je leur ai expliqué que nous produisons de la musique très moderne et que la basse est cruciale pour nous », dit-il. « Cette pièce a été conçue sur mesure afin de pouvoir supporter une tonne de basses étant donné que c’est ce que tout le monde écoute. »

« Tout ce qui compte pour moi, c’est une bonne mélodie et de bons textes » — Adam Kershen de Hotbox Digital Music

La chanson est au cœur de tout ce qui sort de Hotbox. Tant Kershen que North s’identifient d’abord en tant qu’auteurs-compositeurs. Là où, en plus de tout ça, le premier a triomphé sur le circuit des clubs en tant que DJ, le second a choisi de se concentrer sur la création de pièces musicales plutôt que de les jouer devant public. « Je n’ai jamais eu cette mentalité de DJ, je n’avais pas envie de donner des spectacles, j’étais totalement fasciné par les sonorités de cette musique et comment les créer. Je ne rêve pas d’être un “superstar DJ”, je rêve de faire de la “superstar music”. »

Heureusement pour eux, dans le domaine de la dance music qui est au cœur de leurs carrières, c’est souvent la réputation du producteur qui est centrale, tandis que « dans le domaine de la pop ou du hip-hop, tout est centré sur l’interprète », explique Kershen. « Du point de vue des productions, les producteurs étaient déjà en confinement, en quelque sorte. » Mais c’est la chanson qui fait tout. « Le “jackpot” est dans la mélodie », répétera Kershen à plusieurs reprises. « La production est interchangeable. Tout ce qui compte pour moi, c’est une bonne mélodie et de bons textes. Tout le reste n’a pas vraiment d’importance. On peut la refaire à l’infini — c’est très facile de remaquiller une chanson. »

North se souvient : « L’une des premières choses qu’il m’a dites, c’était “ta musique sonne comme de la merde, mais t’écris vraiment bien. Je ne peux pas t’apprendre à écrire de grandes chansons, mais je peux t’apprendre à les faire bien sonner”. »

Malgré toutes les restrictions imposées par la COVID-19, Hotbox se porte très bien. À l’instar du potentiel de producteur de génie que Kershen a vu en North, le duo est devenu le mentor d’un troisième producteur, Greg Giannopolis (alias Trappy Gilmore) afin de les aider avec leur charge de travail en pleine croissance. Pas qu’ils acceptent trop de projets, mais ils ont besoin d’un certain temps pour que tout soit « parfait », ce qui les pousse parfois à refuser des projets intéressants.

« Nous sommes une maison de production de type “boutique”, on ne cherche pas à faire une tonne de productions », explique Kershen. « Ça n’a jamais été notre genre. On prend tout le temps nécessaire quand on travaille sur un projet, même si ça implique certains coûts. Notre réputation et nos statistiques sont très importantes pour nous. Nous avons pris un engagement de toujours livrer le meilleur matériel possible. »



C’était il y a quatre ou cinq ans. « J’essayais d’écrire une toune, se souvient Alex Burger, mais ça ne marchait pas. Je cherchais des accords bizarres et à un moment donné, je me suis tanné. J’ai fait un sol pis un do et ça a éveillé ben des choses en moi. Ça m’a fait me rendre compte que plus la musique était simple, plus ça relevait mon écriture. »

Alex BurgerParmi les choses qu’éveillera en lui cette épiphanie: quelques précieux souvenirs d’enfance, dont celui d’avoir entendu son grand-père Paul-Émile écouter beaucoup de country, « le matin, le midi, mais pas le soir, parce que ma grand-mère regardait Les feux de l’amour. »

La chanson issue de cette indélébile révélation, Pays chauds, se retrouvait en 2018 sur À’ment donné, le premier EP d’Alex Burger, qui poursuit aujourd’hui son chemin sous les cieux de la providentielle simplicité country avec Sweet Montérégie, un premier album sur lequel plane le fantôme éternellement mélancolique de Gram Parsons. Les disques du regretté Gram, jeune martyre du country rock américain et père spirituel du country alternatif, ont d’ailleurs beaucoup résonné dans le camion de tournée des Prix Staff (l’orchestre de Burger), tout comme ceux des hors-la-loi mystiques qu’étaient Waylon Jennings et Merle Haggard.

Mais si Sweet Montérégie peut fièrement revendiquer l’étiquette country, c’est moins dans son obédience stricte à une certaine palette sonore, que parce qu’Alex Burger nous y rappelle à plusieurs occasions une grande vérité: une bonne chanson country se situe souvent à la frontière du drame et de la comédie, de la farce et de la tragédie.

« Ça tombe bien que tu dises ça: je n’aime pas trop l’humour en musique, mais je n’aime pas trop le drame en musique non plus », lance en riant le cowboy de Saint-Césaire, véritable érudit en matière de country, pour qui le genre n’est surtout pas cet objet de ridicule auquel l’ont réduit trop d’artistes québécois.

Jouer pour les bonnes raisons

Autoportait d’un avaleur d’asphalte pour qui la route est à la fois le lieu de la fuite et de la vérité, Sweet Montérégie marque pour Burger l’aboutissement de plusieurs années à errer sur les tronçons secondaires du merveilleux, mais éreintant, monde de la musique. Pendant la première moitié de sa vingtaine, Alexandre Beauregard se dépense sans compter au sein de la formation math folk Caltâr-Bateau, puis, désillusionné que son rêve rock ne se matérialise pas assez rapidement, quitte le navire pour se réfugier dans la pénombre des bars de blues. Le guitariste, qui a maintenant 30 ans, accompagne un temps l’harmoniciste Billy Craig et « d’autres beaux vieux bonhommes tout croches qui ont une couple de trucks qui leur sont passés dessus ».

Un détour lui permettant de réapprendre à faire de la musique pour les proverbiales bonnes raisons. « Ça m’a fasciné de voir ces gens-là qui ne jouent ni pour la paie, ni pour l’exposure, un dimanche après-midi, dans un bar crado, sans aucune possibilité de réseautage ou de développement. »

Mais avant de passer complètement du côté sombre et de rester collé au comptoir, Burger renoue enfin avec l’écriture, se munie d’une nouvelle poignée de chansons et sillonne le circuit des concours (il remportait notamment le prix Paroles & Musique de la SOCAN lors des Francouvertes de 2019). « J’ai passé beaucoup de temps dans des meetings avec des compagnies de disques, mais finalement tout le monde avait peur que je fasse un album trop country ou trop métal », raconte celui qui a donc autoproduit et coréalisé avec Alexandre Martel (Mauves, Anatole) Sweet Montérégie. « Tout le monde me trouvait ambivalent. »

C’est pourtant cette ambivalence, ou plutôt cette richesse, qui transforme peu à peu Sweet Montérégie en drogue dure, du dance rock de C’est pas le pérou, jusqu’au folk éthylico-pastoral de Chanson pour Simon, en passant par le honky tonk très Stephen Faulkner de J’prends pas ça pour du cash, le southern rock (vaguement stoner) de La randonnée et l’americana de la sublime Dormir sur ton couch (sertie d’une stellaire partition de pedal steel, encore une fois héritière de Gram Parsons, signée David Marchand).

« Chez les labels, on cherche souvent la nouveauté, le prochain gros truc, on veut prendre un risque sur quelque chose qu’on ne connaît pas trop, mais qu’on pense qui va être cool », observe le musicien qui figure aussi parmi les rangs de Mon Doux Saigneur et Bon Enfant. « J’avais parfois l’impression que ce que les labels cherchaient, c’était le son montréalais. Alors que moi, j’ai le goût de jouer en région, je ne veux pas être juste un chanteur de Montréal. Je veux rejoindre les gens de partout au Québec. »

Malgré la trame de spleen qui en traverse les couplets, Sweet Montérégie est un de ces trop rares albums vraisemblablement conçus avec, au cœur, le désir qu’une fois transposé sur scène, personne dans la salle ne sache rester assis. De la musique festive, écrirait-on si cet adjectif n’était pas aussi élimé. Festif, au sens le plus noble – fédérateur, communautaire, cathartique – que l’on puisse imaginer.

« Quand je finis une toune, après avoir trouvé les accords et écrit le texte, la troisième étape, c’est toujours de la jouer en me visualisant au Quai des Brumes ou dans un endroit comme ça. Et là, je vais peut-être changer une phrase, effacer un temps mort, pour que la chanson ne parle pas que de moi, mais qu’elle puisse parler à tout le monde. » Ça paraît.



C’est l’histoire d’un groupe qui n’aurait pas dû exister au-delà de son premier concert. Formé à l’occasion d’un show hommage au guitariste de surf-rock japonais Takeshi Terauchi dans le cadre du festival psychédélique Distorsion en 2018, TEKE::TEKE est passé de trip éphémère à l’un des groupes les plus uniques de la scène montréalaise et il s’apprête à lancer son premier album.

TEKE::TEKEÀ l’origine du projet, Serge Nakauchi Pelletier, ex-Pawa Up First et prolifique compositeur de musique à l’image, ne se doutait pas qu’il venait d’accoucher de son nouveau groupe. « Ce n’est pas une blague, je ne croyais vraiment pas qu’on irait plus loin que ce show-là, mais on a senti une telle chimie entre les musiciens et on a eu une si bonne réaction du public qu’on a décidé de continuer pour voir où ça nous mènerait. » Très vite, TEKE::TEKE (où jouent également le guitariste Hidetaka Yoneyama, le bassiste Mishka Stein, le batteur Ian Lettre, le tromboniste Étienne Lebel et la flûtiste Yuki Isami) passe à la vitesse supérieure et s’enrichit d’une chanteuse, l’incandescente Maya Kuroki, issue du monde du théâtre et de la performance.

Le groupe commence à travailler sur ses propres compositions, mais continue d’intégrer des pièces de Takeshi Terauchi à son répertoire. Figure de proue du courant Eleki (« électrique », en japonais), variante locale du surf rock fortement influencé par les mythiques Ventures, Terauchi demeure une influence, mais le groupe fait éclater les genres, mélangeant jams psychédéliques, riffs punk et mélodies japonaises traditionnelles, tout en puisant chez d’autres expérimentateurs de la pop, comme les Brésiliens de Os Mutantes.

Élevé dans une maison où les disques des Beatles jouaient en alternance avec ceux de la chanteuse populaire Miyuki Nakajima (dont il possède toujours les vinyles), Nakauchi Pelletier était l’homme tout désigné pour piloter cet étonnant hybride musical. « La musique japonaise a toujours fait partie de ma vie, précise-t-il. Je suis vraiment le fruit d’un mélange de cultures et je ne me suis jamais senti vraiment Japonais ni complètement Québécois. Quand j’étais plus jeune, c’était plutôt un combat intérieur pour trouver mon identité, mais aujourd’hui, je comprends que c’est une richesse. »

Son groupe multiethnique est d’ailleurs à l’image de ce brassage des cultures. « Ce qui est génial, ce sont les approches différentes que chacun apporte: Étienne est un fou de musique bulgare, Mishka compose en jouant des accords sur sa basse comme s’il s’agissait d’une guitare et Yuki a une formation classique… le seul fait de jouer les uns avec les autres nous fait découvrir de nouvelles dimensions musicales. »

À l’été 2019, le groupe s’enferme au studio Machines With Magnets à Pawtucket, Rhode Island, pour enregistrer ce qui allait devenir, deux ans plus tard, leur premier album, qui devrait paraître cet été. « On arrive très préparés en studio alors on travaille assez rapidement, parfois en une seule prise, explique Serge. Mais on se laisse aussi de la place pour expérimenter. Ce groupe a complètement changé ma façon de composer : j’étais assez rigide avant, mais là, je laisse tout le monde embarquer et ajouter ses touches. Il arrive qu’on dynamite la structure pour la reconstruire ensemble et ça devient quelque chose que je n’aurais jamais imaginé. C’est d’ailleurs le thème principal de l’album : la destruction positive. »

La pandémie a considérablement ralenti leurs plans, mais les membres de TEKE::TEKE ont eu le temps d’approcher différents labels, ce qui explique qu’ils viennent de lancer une chanson pour le Singles Club du mythique label de Seattle Sub Pop, mais que l’album, qui paraîtra dans quelques mois, paraîtra chez Kill Rock Stars.

« Ce sont des amis de Vancouver, membres du groupe math-rock Mi’ens, qui ont parlé de nous, nous ont présentés, et on s’est vraiment bien entendu avec eux. C’est un petit label, vraiment à échelle humaine et j’ai un attachement personnel car ils ont lancé l’un de mes groupes préférés, Unwound. Et puis ils ont aussi été la maison d’Elliott Smith et de Sleater Kinney, c’est pas rien ! J’avoue que lorsque j’ai vu la petite étoile de leur logo sur le visuel de la pochette, j’ai eu un petit frisson. »