Voici le premier d’une série d’articles portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. À 2, c’est mieux, ce mois-ci avec Marie-Pierre Arthur et Gaële.

Nommez-les toutes : l’entêtante Pourquoi qui a mis Marie-Pierre Arthur dans nos radios en 2010, Droit devant du même premier album, éponyme. Fil de soie, la beatlesque All Right et l’extatique Emmène-moi de l’album Aux Alentours (2012), jusqu’aux récents extraits radio Rien à faire et Papillons de nuit du tout frais Si l’aurore, toutes ces chansons à succès ont été coécrites par Marie-Pierre Arthur et Gaële – avec l’apport d’autres collaborateurs, à commencer par le claviériste François Lafontaine, rendons à César…

« J’étais au bout du rouleau. J’avais des musiques, des mélodies, mais ça n’aboutissais à rien, j’en pleurais, je n’y arrivais pas. J’en parlais à ma chum… » – Marie-Pierre Arthur

À l’évidence, Gaële et Marie-Pierre constituent l’un des duos d’auteures-compositrices les plus fructueux des dernières années. Rien, pourtant, n’annonçait cette relation professionnelle qui a débuté par une sorte de coup de foudre amical.

Gaële et Marie-Pierre ont fait connaissance dans l’autobus les menant de Montréal à la Gaspésie, mais elles s’étaient déjà croisées auparavant, sans que ça « clique ». « Je l’ai vue assise dans l’autobus et là, dans ma tête, je me suis dit : ah non, je sais qui elle est, je vais être obligée de parler avec elle », se remémore Marie-Pierre Arthur.

D’emblée, elle lui a dit : J’vais pas te parler tout le long. « J’ai été comme un peu bête… », dit Marie-Pierre en regardant Gaële, qui la coupe en souriant : « On peut le dire comme ça! » C’est pourtant ce qu’elles ont fait, parler sans arrêt, pendant les quatorze heures qu’a duré le trajet. Et pour toute la semaine qui a suivi, pendant le Festival en chanson de Petite-Vallée, le patelin de Marie-Pierre.

« On a beaucoup ri », se rappelle Gaële. Originaire de la région des Alpes françaises, Gaële venait alors de compléter ses études en chant jazz et populaire à l’UQAM, et n’avait finalement pas tellement visité le Québec durant ses études, ce qu’elle regrettait alors au moment où elle prévoyait retourner en France. Un petit voyage en Gaspésie avant le retour prévu a bouleversé ses plans. « Ça a été LA rencontre », dit-elle.

Avant la relation professionnelle, une grande amitié, donc, qui s’est développée pendant quelques années. Gaële était ensuite retournée à Petite-Vallée défendre ses chansons en tant qu’auteure-compositrice-interprète; de son côté, Marie-Pierre n’aspirait pas à ce métier, « pas pantoute. Dans ma tête, j’étais bassiste. Il m’arrivait de chanter, ça me faisait triper, mais je n’avais pas de projet solo en tête », ce qui ne l’empêchait pas d’accumuler des ébauches de chansons, qu’elle avait du mal à terminer.
MariePierreArthur_Gaele_ByLePigeon_InBody_1« J’étais au bout du rouleau. J’avais des musiques, des mélodies, mais ça n’aboutissais à rien, j’en pleurais, je n’y arrivais pas. J’en parlais à ma chum… »

Gaële s’est saisie de l’affaire. « J’ai senti qu’il y avait quelque chose, artistiquement. J’ai senti qu’il pouvait se passer quelque chose avec cette voix-là. Elle parlait « gaspésien », ses musiques étaient plus anglophones, si on peut dire, dans le rythme, le phrasé. Elle voulait utiliser un français plus « international ». Il fallait trouver le langage qui lui convenait. »

« Et surtout pas de textes anecdotiques! », coupe Marie-Pierre. Sur ces bases est née la collaboration. La musique de Marie-Pierre, les textes de Gaële, « pas trop de mots, pas trop de consonnes, pour que ça coule facilement, comme sa voix. »



La rumeur veut qu’un synthétiseur en vente sur Kijiji soit à l’origine du groupe Le Couleur. Laurence Giroux-Do, chanteuse, confirme : « On s’est retrouvés chez le gars qui le vendait et on a tripé tous les trois sur le son de l’instrument. Alors on a tiré au sort pour savoir qui repartirait avec. Steeven (Chouinard, batterie) et moi on est en couple; on s’est dit qu »on avait plus de chances, mais on a perdu. On a échangé nos numéros de téléphone avec Patrick (Gosselin, guitares et clavier) et on a fini par aller prendre un verre… C’est ainsi que Le Couleur est né. »

« C’est plus naturel pour nous de jouer à Berlin qu’à Chicoutimi. » – Laurence Giroux-Do de Le Couleur

C’est lors d’un bref passage comme claviériste de la formation Plaza Musique que Laurence, qui a étudié le piano classique à Vincent-d’Indy, a goûté à la pop. « Au début, je me suis dit « Ok, si c’est ça faire de la musique pop, c’est pas pour moi. » Mais au fil des répétitions, à force de jouer et d’écouter, j’ai apprivoisé le genre et je me suis mise à aimer ça au point d’avoir envie de fonder mon propre projet. Pour différentes raisons, j’ai quitté Plaza. Et c’est à ce moment-là que j’ai vu le synthé en vente sur Internet. »

Le Couleur a fait paraître en février dernier un EP au titre suave, un brin kitsch : Dolce Désir. Club italien, la première chanson, est inspirée des cafés de la Petite Italie à Montréal où des hommes passent leurs journées à discuter, boire des expressos et regarder le soccer à la télé. « J’aimerais tellement savoir de quoi  parlent ces hommes. » Sur cinq titres, seuls Club italien et Autovariation #64 sont des nouveautés. Les autres ont été revisités, parfois inspirés des remixes ou de leur évolution en concert. Le contraste entre les versions planantes, léchées de l’album et leur incarnation plus disco sur scène est marqué. « On tripe fort sur l’approche live du Norvégien Todd Terje. Ses perfos sont hallucinantes! Steeven a étudié en batterie et en pop à l’UQAM. En show, il joue fort, ça propulse nos chansons. Le tempo monte graduellement, on transite par différentes ambiances, mais une constante demeure : la basse martelée. C »est un enchaînement qui fonctionne bien pour nous et c »est ce type de spectacle qu »on va présenter aux FrancoFolies le 18 juin. »

Enjamber les frontières

Il y a dans la musique électro-disco-pop de Le Couleur, un potentiel d »exploitation internationale sur lequel l’étiquette Lisbon Lux Records a eu la bonne idée de miser. La voix aérienne de Laurence rappelle celles de Charlotte Gainsbourg et de Mylène Farmer. Le son du trio évoque aussi bien la french touch que l’euro-dance scandinave ou la pop sexy d »un groupe comme Chromeo, une facture sonore qui s’exporte bien. Le groupe rentre d’une petite tournée française. Les marchés travaillés par le jeune label bien réseauté incluent l’Europe francophone, l’Allemagne et l’Autriche, les grandes villes américaines et même l’Asie. « Ça fonctionne bien pour nous en Europe, la plupart de nos influences proviennent de là. C »est plus naturel pour nous de jouer à Berlin qu »à Chicoutimi. On trouve inspirante la trajectoire de Peter Peter; on aimerait suivre sa trace, aller s’installer trois, quatre mois en France pour approfondir nos démarches. »

Un décloisonnement qui s’observe également dans la façon dont Le Couleur propose sa musique. Le groupe privilégie la forme brève du EP, logique dans un contexte où les ventes d »albums sont en déclin et l’offre musicale, constamment renouvelée. Le groupe propose de nombreux remixes, sans non plus tourner le dos à l’objet vinyle. Cette approche polymorphe, très DIY, adaptée à l’éclatement des formats, ne nuit pas au groupe, bien au contraire. « On suit nos impulsions et envies du moment. Notre maison de disque ne nous impose pas de contraintes d »industrie. On fait de la musique, c »est tout. »

« Fille ou garçon, on se pose la question / Une robe ou un pantalon », chante Laurence dans Télé-Jeans. Ce jeu sur la transgression des frontières rejoint la question des genres. « En français, les mots sont genrés. J’ai eu envie de m »amuser avec ça, de voir comment on pouvait jouer avec la règle et la contourner – d’où notre nom de groupe. Et sur une note plus légère, je trouve ça sexy quand les Anglos disent « le couleur! »

Le Couleur et Les Marinellis
Dans le cadre des Rendez-vous Pros des Francos
Présenté par la SOCAN
Le 18 juin, 17h au Pub Rickard »s, Montréal



Chaque projet pour le cinéma ou la télévision que les compositeurs Amin Bhatia et Ari Posner entreprennent est pour eux une occasion d’apprendre l’un de l’autre et de relever de nouveaux défis qui leur fournissent de nouveaux outils tant sur le plan individuel que collectif.

« J’adore le fait qu’après 15 ans de collaboration, nous essayons encore de nous améliorer et de nous surprendre mutuellement », confie Amin Bhatia. « C’est très sain d’avoir un collaborateur de longue date en qui vous avez confiance et qui vous lance constamment de nouveaux défis. Vous savez, le meilleur compliment que nous pouvons nous faire mutuellement lorsque nous écoutons le travail de l’autre », poursuit-il alors qu’Ari Posner éclate de rire, sachant très bien ce qui va suivre, « c’est “je te déteste”. Lorsque l’un de nous travaille sur un truc et l’envoie à l’autre pour avoir son opinion, nous écrivons “Alors, tu me détestes?” et si on aime, on répond “Félicitations. Je te déteste.” »

« C’est très sain d’avoir un collaborateur de longue date en qui vous avez confiance et qui vous lance constamment de nouveaux défis. » – Amin Bhatia

Leur plus récent projet, pour la série télé de la CBC X Company, ne fait pas exception à la règle. Cette série raconte l’histoire d’un groupe fictif d’agents spéciaux entraînés dans une base secrète située en Ontario, bien réelle celle-là, nommée Camp X et dont la mission est de saper les opérations nazies en Europe durant la Deuxième Guerre mondiale. Et bien que la paire soit familière avec les grandes lignes de l’histoire de cette guerre, aucun d’eux ne connaissait l’existence de ce camp d’entraînement. « Cet aspect du projet était vraiment cool », raconte Bhatia, « et lorsque les producteurs de la série nous ont demandé de libérer notre agenda, nous avons dit “OK, on va voir ce qu’on peut faire”, mais en réalité nous sautions de joie. »

X Company est une création de Mark Ellis et Stephanie Morgenstern, les créateurs d’une autre série télé très populaire intitulée Flashpoint, qui avait également été mise en musique par le duo Bhatia-Posner, sans doute leur travail le plus connu et qui a été largement salué. D’ailleurs, à ce chapitre, ils ont reçu trois SOCAN Film & TV Awards au long des cinq années qu’a durée la série, en plus d’un Prix Écrans Canadiens pour la meilleure musique dans une série. Ils collaborent toutefois depuis bien plus longtemps, s’étant rencontrés en 1999, et ont notamment travaillé sur Get Ed, la série animée de Disney qui leur a valu une nomination aux prix Emmy.

Cela ne les empêche tout de même pas d’avoir des carrières individuelles très prolifiques. Parmi les réalisations auxquelles Posner a contribué, on retrouve notamment All the Wrong Reasons et My Awkward Sexual Adventure au cinéma, ainsi que des séries télé telles que 24 Hour Rental. Quant à Bhatia, sa discographie remonte à 1987 avec son premier album The Interstellar Suite et dont la suite – Virtuality – n’est venue que 21 plus tard. Au cinéma on l’a entendu dans les films Once a Thief et Iron Eagle II de John Woo, ainsi que dans des séries télé telles que Kung Fu et Queer as Folk, pour ne nommer que celles-là.

Bien qu’ils n’aient aucun arrangement contractuel formel, Bhatia nous explique que « de temps à autre un projet se présente et nous savons immédiatement que c’est un projet sur lequel nous devrions collaborer, et nous sommes toujours aussi excités lorsque se présente une telle occasion. »

De toute évidence, puisqu’ils avaient déjà travaillé pour Ellis et Morgenstern, X Company était l’occasion idéale d’une nouvelle collaboration. « Mark et Stephanie nous ont dit “On ne pourrait imaginer travailler avec quiconque d’autre” », raconte Posner, avant d’ajouter qu’il était néanmoins essentiel pour tout le monde que les compositions pour X Company soient substantiellement différentes de celles écrites pour Flashpoint. Car la possibilité est bien réelle qu’un client potentiel vous associe tellement à votre travail précédent qu’il ne parvienne pas à voir au-delà de celui-ci. « En tant que compositeurs, nous nous devons d’être des caméléons, alors c’était très satisfaisant pour nous de voir que Mark et Stephanie tenaient à travailler avec nous. »

Produit par Temple Street Productions pour la CBC, X Company a été tourné en Hongrie et a pris l’antenne en février 2015, tandis que le tournage de la saison 2 débutera en juillet de la même année. Posner et Bhatia avaient toutefois déjà entrepris le travail de composition avant même que le tournage de la première saison soit entrepris. « C’est la nouvelle tendance », explique Bhatia. « C’est une façon, pour les producteurs, de trouver la signature sonore d’une production. C’est plus fréquent dans le domaine du cinéma que de la télé. »

En fin de compte, le résultat de leur travail de composition a pris la forme d’une librairie d’idées et de mélodies qui a permis de cimenter l’approche musicale et l’habillage sonore de la série. « Stephanie et Mark ont joué un rôle-clé dans l’élaboration d’une direction qui convienne à tout le monde », poursuit Bhatia. « De plus, avec la collaboration de nos monteuses Lisa Grootenboer et Teresa Deluca, ainsi que de toute l’équipe de production sonore chez Technicolor Toronto, nous avons proposé des idées musicales et sonores qui ont carrément changé le montage de la série. »

Bien que X Company soit une série historique, sa musique est volontairement très moderne, comme l’explique Posner. « D’entrée de jeu, on nous a dit “ça se passe durant la Deuxième Guerre mondiale, mais on veut donner l’impression que ça se passe maintenant” – l’intention étant que les auditeurs plus jeunes puissent tout de même s’identifier aux personnages. Il y a des moments où la musique doit être un peu plus traditionnelle afin de refléter l’époque, et il est vrai que parfois nous allions un peu trop loin dans le modernisme, mais c’est comme ça que nous avons réussi à trouver l’équilibre parfait. »

« En fin de compte, nous sommes parvenus à créer une ambiance musicale qui plaisait à tout le monde », conclut Bhatia.