Nous poursuivons notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. Cette semaine, une première collaboration mère-fille entre deux interprètes et compositrices estimées du public et de la critique, Karen Young et Coral Egan, qui lancent ces jours-ci un tout premier album en duo intitulé Dreamers et qualifié par la matriarche « d’exploration à deux voix ».  

C’était écrit dans le ciel. Ce moment devait bien arriver un jour, n’est-ce pas mesdames ? Coral en convient, Karen nuance : « Mais on a déjà chanté ensemble sur un disque », rappelle-t-elle. C’était avant que Coral Egan entame sa carrière solo, avant My Favorite Distraction (2004), à l’époque où elle apprenait encore le métier en faisant les chœurs sur les albums de maman.

Karen Young, Coral EganMais un disque en duo, les deux interprètes qui unissent leurs voix et leurs noms sur une même pochette d’album ? Une fatalité. Pourquoi maintenant, alors ? « Je dis souvent que ma muse, c’est celle de la Dernière Minute !, lance Coral. Je crois que lorsqu’on se dit : ça y est, c’est le moment, maintenant, quelque chose de bon en sort parce qu’on n’a pas trop le temps d’y réfléchir. Le résultat est authentique. » De son côté, Karen explique aussi qu’avant de songer à faire un album en duo, le clan Young caressait le projet d’un album « en famille, avec mon frère, chanteur folk et country, et sa fille. C’est un disque à quatre voix que nous avions en tête, pas à deux ! »

Il y a quand même eu un déclic, rappelle Karen. Décembre 2014, sur le plateau de l’émission Belle et Bum, Karen Young et Coral Egan sont invitées à chanter la superbe River de Joni Mitchell en hommage aux quatorze victimes de la fusillade de la Polytechnique survenue à Montréal vingt-cinq ans plus tôt. Leur répétition, le choix des harmonies vocales, se souvient Coral, s’est faite dans la voiture, en chemin vers les studios : « C’était naturel, facile, tellement joyeux. On aime ça chanter ensemble… » Il n’en fallait pas plus pour qu’elles réalisent que oui, un disque à deux, ça se peut. Ça serait même pas mal bon.

L’idée d’enregistrer en duo a donc fait son chemin, entre temps bousculée par les soucis de santé de Coral – autant vous rassurer tout de suite, la jeune musicienne est « remise à 100% » des symptômes du syndrome de Guillain-Barré, étrange maladie auto-immune s’attaquant au système nerveux qui a gravement affecté sa mobilité et ses réflexes, l’empêchant de travailler. Or, un concert en duo l’été dernier, à l’affiche du Festival international de jazz de Montréal, a rallumé la flamme du projet : c’était le moment d’enregistrer, ça s’est fait dans les Studios Dandurand de Louis-Jean Cormier durant le temps des Fêtes.

« Je pense que la création de chanson à deux est une forme de danse de la douceur. Il faut que l’on trouve le bon rythme, la bonne dynamique. », Coral Egan

Karen Young, Coral EganDreamers possède une superbe facture sonore, évidemment tributaire de la complicité des deux chanteuses, dont les voix sûres, claires et agiles se marient parfaitement. Elle l’est aussi par le répertoire, très varié : Karen et Coral s’échangent des compositions, elles reprennent celles des autres (de Catherine Major, par exemple), touche au répertoire sacré, au répertoire brésilien… Le dernier élément capital de l’album, le détail qui lui donne corps et qui relie toutes ces influences entre elles, est le jeu – fameux!- de la harpiste Éveline Grégoire-Rousseau, collaboratrice de Karen (et de Pierre Lapointe, Philippe B, Ingrid St-Pierre). «  C’est un instrument très intéressant, harmonique autant que percussif, abonde Coral. Et le timbre de la harpe, aérien, va très bien avec nos voix. »

Ainsi, cette « exploration à deux voix » évoque davantage l’univers de maman plus que de la fille, leur fait-on remarquer. Coral : « Y’a une influence musicale qui ne se retrouve pas sur l’album, la soul. Moi, j’ai grandi avec Stevie Wonder, mon amour pour sa musique a eu une grande influence sur mes choix artistiques, sur ma voix. Or, Karen aime aussi, mais ça ne fait pas partie de ses influences. Je crois que ç’aurait été inconfortable pour elle si je l’avais forcée à chanter du soul… »

« On a essayé un premier duo comme ça, pour un concert, on avait travaillé une sorte de medley soul, mais ça ne marchait pas », enchaîne Karen en rigolant. « Ah, mais j’adore les chansons – Trouble Man de Marvin Gaye, j’ai toujours rêvé de pouvoir chanter ça… Mais ce n’est pas ma force. Ainsi, je crois que c’est l’éclectisme de l’album qui me ressemble ; cependant, c’est toute notre vie musicale commune qu’on a réussi à exposer [sur le disque]. Toutes ces choses que je lui ai données, montrées. C’est notre histoire musicale personnelle, en quelque sorte. »

Ici, le travail de composition s’est plutôt substitué à une recherche d’équilibre, voire de compromis, entre deux univers musicaux certes différents… mais au lien filial. L’expérience aura forcément une suite : des concerts annoncés, déjà, et peut-être un second disque. Seriez-vous tentées de composer des chansons originales ensemble, à quatre mains ? Coral, dans toute sa zénitude, risque une explication.

« Si ça n’arrive pas, c’est peut-être pour une raison. On ne force pas la chose : si nous n’avons pas encore composé ensemble, c’est que nous n’en sommes pas prêtes… Mais cet album nous a fait apprendre des choses sur nous-même. Par exemple, je peux être imposante [en studio], alors que ma mère est plus discrète et laisse davantage de place au moment, au travail des musiciens. Moi, s’il me vient un flash, une idée, il faut que je la sorte, que je l’exprime tout de suite. Je pense que la création de chanson [à deux] est une forme de danse de la douceur. Il faut que l’on trouve le bon rythme, la bonne dynamique. »

Ça viendra.

 



Photo: Jocelyn Riendeau

Photo: Jocelyn Riendeau

Tout ce que l’on devrait savoir sur Vincent Vallières se retrouve sur une seule et même photo à l’intérieur du livret de son septième et nouveau disque, Le temps des vivants. Le cliché montre le musicien dans son antre de création, chez lui. Sur sa table de travail, des objets épars, des cordes de guitares en paquets, un Petit Robert, derrière, une murale de disques et à côté, quelques guitares et une photo d’Yvon Deschamps. C’est dans cette pièce que les premières ébauches trouvent leur chemin jusqu’au laboratoire de la seconde étape.

Pas une mince affaire de reprendre du collier après la longue et grisante aventure qui a suivi la parution de Fabriquer l’aube. On va s’aimer encore, ça vous dit quelque chose ?

« Je me suis dit : pose tes valises, vois ce que l’avenir te réserve. Depuis mes débuts en 1999, je vis le même cycle. Je termine un disque et une tournée et je recommence. Avec les années, j’ai appris à dire non parce que j’ai travaillé très fort au début de ma carrière pour me faire dire oui. On a fini notre plus grosse tournée il a deux ans au Festival de la Poutine et au moment de partir chacun de notre bord, j’ai dit aux gars : attendez-moi pas, vous êtes libres. Trouvez-vous de la job ailleurs parce que je ne sais pas quand je recommence ».

Michel-Olivier Gasse et sa blonde ont fondé Saratoga ; Simon Blouin, le batteur, s’est retrouvé en tournée européenne avec Véronic Dicaire ; et André Papanicolaou a réalisé des disques et part ces jours-ci en tournée avec Pierre Flynn. Avec eux, Vallières avait enregistré trois albums, Le repère tranquille (2006) qui s’est vendu à quarante-cinq mille exemplaires, Le monde tourne fort (2009), presque autant, à l’instar de Fabriquer l’aube (2013).

Durant ce hiatus de deux ans, Vallières est redevenu un fan de musique, il est allé voir plein de concerts et a passé beaucoup de temps à fouiner au paradis du disque vinyle montréalais, le magasin Aux 33 tours.

« Ç’a été un long processus avant que je ne lâche un coup de fil à François Plante (son nouveau collaborateur), confie le chanteur, mais je n’ai jamais douté de ma capacité à écrire des nouvelles chansons. Est-ce que je vais réussir à me surprendre encore, est-ce que je vais réussir à me dépasser ? Et ultimement : est-ce que je peux être meilleur ? » La réponse est venue en la personne de Philippe B., le prolifique musicien et réalisateur québécois. Vallières avait besoin d’une opinion franche.

« Je lui ai dit : je te joue mes tounes, pis tu me dis ce que t’en penses parce qu’il est capable de faire un diagnostic. Et j’ai engagé George Donosso III (guitares, batteries, etc.) qui travaille avec The Dears et qui a des idées très arrêtées sur le son de ses productions. À la base, ils ne sont pas des fans de ma musique, forcément, ils ne reçoivent pas mes chansons de la même manière. Dans cette optique, je veux qu’ils me brassent et qu’ils me déstabilisent. On a jammé dans notre local, à trouver des sonorités, à rajouter par exemple de la basse synthétiseur, du farfisa ou du vibraphone, chose que je n’avais jamais faite auparavant, mais en gardant l’énergie des maquettes ».

Il enchaîne : « à force de jouer plusieurs versions des maquettes, j’ai réécrit des couplets complets et même diminué certains tempos. » Pays du nord incarne parfaitement ce qu’explique Vallières. Elle est le résultat de multiples tentatives. « En fin de compte, le son final de la chanson a remodelé le texte : le personnage part dans une forme d’errance, il avance et la nuit se pointe, mais j’ai changé l’histoire. Dans mon texte initial, il y avait des enfants… »

Gagnant du Prix Félix-Leclerc de la chanson en 2005, du Prix Gilles-Vigneault en 2007, du Félix de la chanson de l’année en 2011 (On va s’aimer encore) et de plusieurs Prix Chansons populaires de la SOCAN (Café Lézard – 2008, Entre partout et nulle part – 2011, On va s’aimer encore – 2012, Loin et L’amour c’est pas pour les peureux – 2015), qu’est-ce qui a changé chez Vincent Vallières ? Et comment sa musique à la facture rock-country-folk qui lui colle tant à la peau a-t-elle évoluée ?

Le temps des vivants marque une nouvelle étape. Ça saute aux oreilles dès les premières notes. C’est un travail collectif, avec en prime Papanicolaou qui revient avec ses guitares et Amélie Mandeville qui y appose sa voix. Les chansons sont rafraîchies d’un habillage sonore plus téméraire. C’est clairement et indiscutablement encore du Vincent Vallières, mais le chemin emprunté est différent. Plus moderne. Hâte de les jouer devant public ? « Il n’y a pas si longtemps, conclue-t-il, le milieu de la chanson était très différent. La radio, en ce sens, m’a aidé. Quand tu te pointes devant trente mille personnes dans un festival et que ce n’est plus juste tes fans mais le grand public qui connaît sept ou huit des quinze chansons du spectacle, les briquets se lèvent, on chante en même temps et c’est fantastique. Les gens se reconnaissent dans les chansons des artistes, ils ont envie de les écouter. »

Et de les acheter, aurait-il pu rajouter.

 



Blues (nom, prononcé blouze) : Musique mélancolique d’origine afro-américaine se présentant le plus fréquemment sous une forme en 12 mesures. Elle trouve ses racines dans le sud rural des États-Unis vers la fin du 19e siècle et gagnera en popularité dans les années 1940, alors que les populations afro-américaines migraient vers les grandes villes. Cette variante urbaine du blues donnera naissance au rhythm & blues et au rock n’ roll.

Le blues est un genre musical omniprésent, mais rarement à l’avant-scène. Bien que l’on reconnaisse la paternité du rock n’ roll à cette « musique mélancolique », le grand public amateur de rock a plutôt tendance à ignorer le blues. Pour Steve Strongman, ça n’est pas un souci. En tant qu’artiste et porte-étendard d’un genre musical qui se targue de compter dans ses rangs des héros de la guitare tels que Robert Johnson, Muddy Waters ou Otis Rush, le blues coule dans les veines de Strongman et jaillit de ses doigts chaque fois qu’il touche sa guitare électrique Gibson. L’auteur-compositeur-interprète croit que c’est pour lui une mission d’aider à garder ce genre musical vivant et d’éduquer les masses à la véritable signification du blues au 21e siècle.

« Nous devons continuer à repousser les paramètres de ce que les gens pensent que le blues signifie, parce que tout sonne comme le blues », affirme Strongman, dont l’opus A Natural Fact a été sacré Album blues de l’année lors des JUNOS 2013. « Même le rock “heavy” est basé dans le blues. »

Outre son JUNO, Strongman a également remporté trois Maple Blues Awards, en plus d’avoir tourné avec B.B. King, Johnny Winter et Buddy Guy. Colin James est récemment revenu à ses racines blues sur Blue Highways, tout comme les Rolling Stones sur Blue & Lonesome, mais Strongman, lui, est toujours demeuré fidèle à ces racines, et cela demeure vrai avec son sixième et plus récent album, No Time Like Now, qui a parut le 10 mars 2017. Nous avons discuté avec l’artiste en janvier 2017 lors du Gibson Guitar Showroom au Liberty Village de Toronto, le jour du lancement du premier extrait tiré qui porte le même titre que l’album.

« J’étais un immense fan de Led Zeppelin, comme la plupart des gens de mon âge. Puis, j’ai réalisé d’où ils tiraient toute leur inspiration. »

Tout ce dont Strongman avait besoin pour nourrir sa muse, s’inspirer et saisir le moment était un sentiment d’urgence. Il a enregistré les 10 pièces de No Time Like Now en compagnie de son ami de longue date, ancien membre de son groupe et réalisateur de plusieurs de ses albums, Rob Szabo, principalement au Beulah Sound Studio de Hamilton que l’auteur-compositeur-interprète appelle son chez-lui par les temps qui courent.

« Nous avions envie de produire un album excitant très axé sur la guitare », explique l’artiste. « Ça baigne dans le blues — tout ce que je fais baigne toujours dans le blues —, mais il y a plusieurs autres éléments sur ce disque sur lesquels nous n’avions pas vraiment mis l’accent auparavant. »

Là ou Colin James ou les Stones rendent hommage au blues avec des albums entièrement composés de reprises, Strongman propose neuf pièces originales qui prennent racine dans le blues, mais qui n’ont pas peur d’afficher leur côté rock avec un léger enrobage soul. La seule reprise du disque est une version « marécageuse » du classique de Bachman-Turner-Overdrive, « You Ain’t Seen Nothing Yet », un choix pour le moins intriguant pour un album blues.

« Rob et moi avons assuré la première partie de Randy [Bachman] il y a longtemps, et j’ai plus tard joué avec son fils Tal, également », raconte Strongman. « Nous sommes toujours restés en contact. Lorsque je répétais avec Tal, j’ai passé une nuit chez Randy à White Rock. Il a toujours soutenu ma musique et en joue fréquemment à son émission à la CBC. Lorsque Rob et moi avons décidé d’inclure une reprise sur l’album, nous avons tout de suite pensé aux chansons de Randy. “You Ain’t Seen Nothing Yet” m’est immédiatement venue en tête. Nous ne voulions pas la jouer comme Randy la jouait, car c’est tellement un “hit” massif. Je voulais lui donner ma propre couleur. »

Lorsque Strongman a fait parvenir un démo de sa version à Bachman pour avoir son opinion (et sa bénédiction), le membre du Panthé de la musique canadienne a dit l’adorer, et a même offert de jouer de la guitare sur la version finale.

Là où des musiciens comme Bachman, James et les Stones ont tous découvert le blues très tôt en écoutant et apprenant des Elmore James, Jimmy Reed et autres Hubert Sumlin, le guitariste de Howlin’ Wolf, l’intérêt de Strongman s’est développé de manière plus sinueuse.

« Je suis arrivé au blues par le biais des groupes de rock classique, car c’est ce que j’aimais », explique-t-il. « J’étais un immense fan de Led Zeppelin, comme la plupart des gens de mon âge. Puis, j’ai réalisé d’où ils tiraient toute leur inspiration. J’ai grandi dans la région de Kitchener-Waterloo et il y avait ce club de blues nommé Pop the Gator [où sont passés de grands noms tels que Bobby “Blue” Bland, Albert Collins et Mel Brown], ce qui nous permettait d’entendre la crème de la crème des musiciens blues de calibre international, et ça m’a beaucoup marqué. »

« Je me considère d’abord et avant tout comme un guitariste », poursuit-il. « Tout ce que je fais baigne dans le blues, mais c’est la guitare qui est au cœur de tout ça. J’entends le blues dans tout ce que j’entends, même dans la musique pop. Le blues en tant que tel… les gens ont une idée lorsqu’ils prononcent le mot. Ce nouvel album est la suite de ce que je fais depuis toujours. »

Est-ce que Strongman a des frissons lorsqu’il compose, comme tant d’autres artistes, et qu’il sent qu’il tient un bon filon ?

« C’est exactement ça qui se produit », avoue-t-il. « Je sais, lorsque j’entends quelque chose et que j’ai ce petit frisson, que c’est exactement ce que je recherchais. Je peux passer huit heures dans une journée et ne rien écrire qui vaille, puis la journée suivante, je commence à travailler et 10 minutes plus tard j’ai deux couplets et un refrain. On est toujours à la recherche de cet “Eurêka !”, cet instant où on se dit “ça y est !” »

« Gear Talk » avec Strongman