Ils font mentir l’adage entonné dans I Want to Pogne, le vieil air de Rock et Belles Oreilles qui se moque des Québécois qui trahissent leur langue pour percer. Avec son nu disco vaguement tropical et ses paroles graves, Le Couleur transcende même les frontières invisibles de la francophonie.
À contre-courant depuis plus d’une décennie, résolument bien loin de la pop rock et du folk qui prédominent encore à l’ADISQ, Le Couleur a plus en commun avec Patsy Gallant ou Toulouse qu’avec des groupes plus récents comme Karkwa ou Galaxie.
En marge des modes à Montréal, mais parfaitement en osmose avec ce qui se fait dans Pigalle ou à Brooklyn, le groupe porté par la voix de Laurence Giroux-Do cartonne à l’international, se faufilant jusque dans la trame sonore d’une série Netflix (Emily in Paris) et les pages de papier glacé du Playboy Mexico. Deux engagements surprenants parmi tant d’autres, deux accomplissements en apparence anecdotiques qui, pourtant, en disent long sur l’intérêt croissant qu’ils génèrent à l’étranger.
Avant que la pandémie ne leur coupe les ailes et ne paralyse la totalité de l’industrie du spectacle, ils avaient par ailleurs pour projet de récolter le fruit de leurs statistiques d’écoutes sur Spotify en dehors du Canada. « Notre sortie était prévue le 18 avril et, quand c’est arrivé, on n’y croyait pas trop, confie l’autrice-interprète. On devait faire South by Southwest le 8 mars et après, on avait une quinzaine de dates aux États-Unis. Tout a été annulé. […] On travaille avec une super bonne bookeuse en Amérique du Sud, on devait aussi faire une tournée au Brésil, au Mexique et au Chili… »
Concorde, parce que c’est le titre de cet opus faisant suite à P.O.P. qui s’était taillé une place la longue liste du Prix Polaris en 2017, a finalement été pressé sur vinyle et partagé sur la toile cet automne.
Sorti le 11 septembre, une date à jamais associée à l’attentat terroriste de 2001, conférant à cet album un aspect doublement morbide, Concorde prend racine dans le crash de l’avion du même nom. Les mots entonnés et écrits par Laurence génèrent un fort contraste avec cette façon guillerette et engageante que Steeven Chouinard a de battre la mesure. Une recette qui leur a été inspirée des plus grands, des maîtres de l’électro pop qui ont assis les bases du genre il y a près d’un demi-siècle.
« ABBA, ils sont devenus quadrillionnaires en étant dark dans leur formule et leurs paroles, mais avec de la musique super dancy, résume celui qui agit à titre de percussionniste, co-compositeur et réalisateur. ABBA, c’est une grande influence pour nous et sans le vouloir. C’est de l’ordre de l’inconscient. Quand on se fait comparer à eux, ceci dit, c’est le plus beau des compliments. »
Introduit par la retranscription exacte des dernières paroles du pilote avec la tour de contrôle, un échange sinistre interprété par deux comédiens aux accents parisiens, l’ultime refrain de la chanson-titre résonne comme un écho d’outre-tombe. C’est que Laurence s’est nourrie de moult documentaires sur la tragédie aérienne d’Air France au moment d’empoigner la plume. « En même temps, ça passe un peu inaperçu parce qu’en arrière tu as le groove super funky. »
Stationnés sur la piste de décollage en attendant de pouvoir reprendre leur ascension en compagnie de leur nouvel équipage de quatre musiciens supplémentaires, les trois membres de la mouture originale ont changé leur plan de match. « Pour nous, en attendant le vaccin, les États-Unis n’existent comme plus, résume Laurence. Tous nos bookeurs nous disent aussi d’oublier les shows en Europe pour 2021 parce que les gros noms et les artistes locaux seront privilégiés. »
Motivés par la promesse d’un retour à la normale, les Montréalais concentreront leurs efforts sur le développement d’un marché qu’ils ont négligé jusqu’ici. « On a joué genre quatre ou cinq fois à New York, mais on n’est jamais allés au Lac-Saint-Jean, à Trois-Rivières ou Gatineau. C’est le temps de remédier à ça », ajoute Steeven dans un éclat de rire.
En attendant de pouvoir reprendre la route par-delà la Réserve faunique des Laurentides et vers des destinations plus exotiques, c’est leur musique qui se chargera du voyage à leur place.