Si les fans d’Harmonium ont aujourd’hui un nouveau disque de Serge Fiori entre les mains, c’est beaucoup grâce à Pierre Lachance, un producteur d’albums et gérant d’artistes (Luc De Larochellière, Marie Denise Pelletier) devenu copropriétaire de la maison de disque GSI et éditeur par la bande. L’homme n’en est pas à son premier disque d’or. On peut d’ailleurs désigner Lachance comme l’un des responsables de l’importante vague d’albums de reprises atterris dans les bacs des disquaires québécois ces dix dernières années. « On a eu pas mal de succès avec un disque hommage à Jean-Pierre Ferland paru en 2004. Disons que ça a donné le goût à d’autres d’emboîter le pas » lance-t-il avec un sourire en coin, bien conscient de l’ampleur du phénomène.
Choisi par l’industrie du disque bien malgré lui en 1988, Pierre Lachance était alors avocat spécialisé dans le milieu du cinéma. « J’ai fait un BAC en communication, spécialisé en cinéma, à Concordia. J’ai ensuite fait mon droit pour être producteur délégué de films. J’ai entre autre travaillé sur Cruising Bar, mais j’ai toujours été un passionné de musique dans mes temps libres. Je faisais de la radio étudiante au CÉGEP. Je me revois encore trimbaler ma grosse caisse de vinyles dans les corridors de Bois-de-Boulogne. J’y suis arrivé en 73, un an après que Serge Fiori y ait étudié. »
« Je n’étais d’ailleurs pas trop convaincu de l’intérêt de la chose, mais nous en avons vendu 95 000! »
Si le nom de l’ancien leader d’Harmonium revient, c’est que le musicien est directement lié au changement de carrière de Pierre Lachance à la fin des années 80. « Comme j’étais avocat de formation, un ami m’a appelé me disant que Nanette Workman et Serge Fiori travaillaient sur un album ensemble, mais qu’ils avaient des problèmes avec leur producteur. Ils avaient besoin de quelqu’un pour les sortir de là. »
Une fois le contrat brisé, le côté homme d’affaire de Lachance est ressorti. « J’ai proposé à Nanette et Serge de fonder une petite compagnie, Inner Sound Production, pour terminer le disque que Sony a finalement lancé en licence. Ç’a donné Changement d’adresse, un album de Nanette composé et réalisé par Serge Fiori, qui est vite devenu un ami. »
Les deux comparses ont ensuite fondé Les Disques Gipsy, étiquette qui a permis à Fiori de lancer dans les années 90 deux albums de mantras ainsi que deux disques avec l’orchestre de son père Georges. Cette confiance donnera plus tard naissance au nouveau disque de Fiori, Le Monde est virtuel.
Mais le grand coup, il est venu au début des années 2000, à la suite d’un appel du directeur artistique Patrice Duchesne, alors chez GSI : « Il voulait que je l’aide à produire un album sur lequel une douzaine d’artistes populaires (Kevin Parent, Éric Lapointe, Isabelle Boulay, Gilles Vigneault, Daniel Lavoie) rendraient hommage à Jean-Pierre Ferland. À l’époque, ça n’existait pas vraiment ce genre d’album au Québec. Je n’étais d’ailleurs pas trop convaincu de l’intérêt de la chose, mais nous en avons vendu 95 000! »
Puis ce fut un album de reprises pour venir en aide à Claude Léveillée gravement handicapé par son deuxième accident vasculaire cérébral. Puis un autre soulignant le 25e anniversaire de la mort de Félix Leclerc. Lachance est même derrière les deux albums hommage au country instigués par Mario Pelchat.
Pour l’éditeur, faire revivre ainsi le catalogue d’artistes québécois fut une excellente stratégie, bien que Lachance ne se considère pas comme un éditeur au départ : « Au fond, j’ai dû apprendre le métier en achetant GSI de Robert Vinet en 2010, avec Nicolas Lemieux des Disques Sphère. La boîte venait avec un immense catalogue (l’œuvre complète d’Yvon Deschamps, des disques de Vigneault, 1X5, J’ai vu le loup, le renard, le lion, une partie du catalogue de Claude Gauthier). »
De nouveaux titres s’ajouteront à la liste à mesure que GSI mettra sous contrat de nouveaux poulains, puisque selon Lachance, les auteurs-compositeurs cèdent en général aujourd’hui une part de leurs éditions à leur producteur d’albums, une question délicate reconnaît-il, mais aussi circonstancielle. « Lorsque Robert Vinet a fondé GSI au début des années 80, il pouvait se permette de laisser aux artistes leurs éditions en guise de fond de pension. Un producteur savait qu’il retrouverait rapidement son investissement sur les ventes d’albums. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, et il y a toujours un malaise mutuel quand vient le temps de négocier le partage des droits d’auteur entre créateur et producteur. Quand un producteur calcule son risque financier et qu’il n’a pas l’artiste en booking ou en gérance pour diversifier ses revenus, ça peut être compliqué! Au fond, le but est de partager les revenus pour que l’artiste y trouve son compte et que la compagnie ne risque pas la faillite à chaque fois qu’elle investit dans un nouveau projet. Ça se fait dans l’intérêt de tous. »